« Le soir, la Schwester Véra entra dans la « Tagesraum » tenant d’une main un paquet, de l’autre une cuillère ; elle était suivie de la chef de table, laquelle portait un quart que je supposai rempli d’eau. « Certaines d’entre vous doivent partir en transport, nous dit-elle, je vais vous donner une médecine afin d’avoir des forces pour faire le voyage ». Elle commença de distribuer une cuillérée de poudre blanche à certaines femmes. Quand je la vis près de moi, j’avançais la bouche pour ingurgiter ce que je croyais être un médicament quelconque, mais […] elle me dit : « Non, non, vous ne partez pas encore, je reçois la liste du Docteur de Ravensbrück, vous n’êtes pas inscrite, mais votre camarade part… ».
Madame Gaby avala la poudre qu’elle me dit trouver très désagréable au goût. Une dizaine d’autres femmes […] prirent cette poudre en faisant force grimaces de dégoût. Mon amie me dit soudain qu’elle se demandait si, par hasard, ce n’était pas du poison qu’on venait de leur administrer.
J’étais assez perplexe, mais je lui dis qu’à mon avis, si la Schwester avait voulu supprimer ces femmes, elle leur aurait fait des piqûres comme à l’ordinaire. Une seule chose m’ennuyait : pourquoi ne devais-je pas partir en transport avec les autres ? Jamais je ne quitterai donc ce camp d’horreur ? Mais bientôt toutes les prisonnières tombaient dans un profond sommeil. Au matin, quand je m’éveillais, elles dormaient encore. Ce sommeil commençait à me paraître étrange, il persista toute la matinée. Vers trois ou quatre heures de l’après-midi, les ronflements un à un cessèrent, et, regardant de près mon amie, je m’aperçus qu’elle ne dormait plus mais qu’elle était morte. Horrifiée, je compris que cette « médecine » était un puissant narcotique qui finissait par tuer ces organismes affaiblis. Les quelques femmes qui, comme moi, n’avaient pas pris de poudre, regardaient les corps rigides d’un air ahuri et effrayé. Bientôt, « la colonne des morts » vint enlever les cadavres. »