J’ai été arrêté à Royan le 7 août 1942. Nous avons pris le train pour La Rochelle et avons été internés à la prison de Lafond. Ensuite nous sommes allés à Compiègne, puis, le 23 Janvier 1943, en Allemagne, à trente kilomètres au nord de Berlin. Autour de la place d’appel, il y avait une compagnie de discipline qui marchait avec un sac sur le dos. Il nous a fallu ruser pour survivre et s’inventer des professions quand on était étudiant. Par exemple, on disait que l’on était électricien, afin qu’ils nous gardent pour le travail. Moi, j’étais vraiment électricien, c’était mon métier et c’est peut être grâce à cela que je suis ici, aujourd’hui. Ils nous ont attribué un numéro, c’est tout ce que nous étions, des numéros qu’ils prononçaient en allemand, pour nous appeler. Je me souviens encore du mien : 58073.
Moi, après la quarantaine, je suis allé dans une usine qui fabriquait un quadrimoteur, Heinkel 177. C’était une usine construite dans la forêt, une usine faite pour remplacer les ouvriers qui étaient au front ou décédés. Donc, il leur fallait de la main d’œuvre. La question qui était importante pour nous à ce moment là était : comment saboter ? Je m’explique : on ne pouvait pas saboter une pièce car il y avait des contrôles, mais on pouvait saboter autrement. Si le fil devait faire cinq mètres, il faisait cinq mètres dix ou six mètres. On le coupait en petits morceaux et on le mettait à la poubelle. Il y avait beaucoup de gâchis. On en faisait le moins possible et le plus lentement possible.
J’aurais voulu clôturer cet article sur une note de gaîté mais je ne le peux pas. J’aurais voulu vous dire que j’ai été heureux quand j’ai revu mon épouse sur le quai de la gare, que j’ai fêté ma liberté mais ça n’a pas été le cas. Il m’a fallu des années pour effacer ce traumatisme, pour que ces assassinats se dissipent un peu de ma mémoire. Il m’a fallut vivre avec, et certaines nuits, j’en rêve encore…