Le camp de la mort produisait un massacre jour après jour. C’étaient des jours de peur universelle, de peur de la mort en masse, et de massacres. Mais à côté de cela, il y avait les incidents de torture individuelle, personnelle. J'ai éprouvé et ai été témoin de ceux-ci aussi. A Belzec, il n'y eut jamais de rassemblement dans la cour. Il n'y avait aucun besoin. Le spectacle d'horreur s'exposait sans annonces de groupe.
Je dois parler du convoi de Zamosc. C'était aux environs du 15 novembre, quand le temps était déjà devenu froid et que la neige et la boue avaient couvert le sol. Un grand convoi de Zamosc est arrivé, comme plusieurs autres, au milieu d'une tempête de neige. Le convoi contenait tout le Judenrat. Chacun se tenait là, nu, et, suivant le cours habituel des événements, les hommes furent conduits aux chambres et les femmes au baraquement pour y être tondues. Mais on ordonna au président du Judenrat de rester dans la cour. Tandis que les askars conduisaient le convoi à la mort, un défilé entier de SS entoura le président du Judenrat. Je ne connais pas son nom. J'ai vu un homme d'âge moyen, aussi blanc qu'un cadavre et tout à fait calme.
Les SS ordonnèrent à l'orchestre de se déplacer dans la cour et d'attendre des ordres. L'orchestre, composé de six musiciens, jouait d'habitude dans l'espace situé entre les chambres à gaz et les fosses. Ils jouaient sans discontinuer, sur des instruments récupérés des personnes assassinées. Je faisais alors un travail de maçonnerie et je les vis tous. Les SS ordonnèrent à l'orchestre de jouer l'air Es geht alles vorüber, es geht alles vorbei et Drei Lilien ; kommt ein Reiter gefahren, bricht der Lilien. Ils jouèrent avec des violons, des flûtes et un accordéon. Cela dura un certain temps. Ensuite, ils placèrent le président du Judenrat de
Zamosc debout contre un mur et le battirent avec des cannes plombées, surtout sur la tête et au visage, jusqu'à ce que le sang coule. Irrman, Schwarz, le gros homme de la Gestapo, Schmidt et plusieurs askars se livrèrent à des actes de torture. Ils ordonnèrent à leur victime de danser et de sauter au rythme de leurs coups et de la musique. Au bout de plusieurs heures, ils lui apportèrent un quart de pain et le forcèrent à coups de canne à le manger. Il était debout, le sang tombant goutte à goutte, indifférent, sérieux, et je n'ai pas entendu un seul gémissement.
Les tourments de cet homme ont duré pendant sept heures. Les SS se tenaient debout en riant : « Das ist eine höhere Person, Präsident des Judenrates » (C'est une personne importante, le chef du Judenrat), criaient-ils en une cruelle bravade. Ce ne fut qu'à six heures du soir que Schmidt, l'homme de la Gestapo, le poussa vers le bord de la fosse, lui tira une balle dans la tête et le poussa du pied sur le tas de cadavres gazés.
Il y eut d'autres incidents individuels. Peu de temps après mon arrivée à Belzec, un jeune garçon fut choisi avec plusieurs autres dans un convoi qui venait de je ne sais quelle ville (nous ne savions pas toujours d'où venaient les convois). Il était l'image de la santé, de la force et de la jeunesse. Nous étions stupéfaits de sa bonne humeur. Il a regardé autour de lui et a demandé presque joyeusement: « Est-ce que quelqu'un est déjà sorti d'ici ? » Cela a suffi. L'un des Allemands l'entendit et ils le torturèrent à mort. Il était à peine plus âgé qu'un enfant.
Ils le déshabillèrent et le suspendirent à l'envers à la potence. Il fut pendu là pendant trois heures. Il était vigoureux et toujours vivant. Ils le descendirent, l'allongèrent sur le sable et bourrèrent sa gorge de sable avec des bâtons. Il est mort après une agonie effroyable.