Le Français du bureau était juif, mais personne ne le savait et personne ne l’a jamais su, parce qu’il avait une fausse identité et parce qu’il prenait des précautions. Quand venait l’heure des douches pour son bâtiment, il se découvrait un travail urgent pour ne pas se trouver nu parmi les autres. Et s’il ne pouvait faire autrement, il se déshabillait dans un coin, il agitait un chiffon comme un gant de toilette, il ne tenait pas en place, personne ne voyait rien mais cet exercice lui coûtait beaucoup de peine. Et il avait peur d’être malade un jour, d’être obligé de se faire examiner. A son entrée au camp de concentration les médecins n’avaient pas eu l’air de remarquer quoi que ce soit et depuis il n’était jamais allé à l’infirmerie ; même devant un autre Français il n’osait pas se déshabiller. Il habitait une petite chambre de la caserne où il n’y avait place que pour six lits, il venait se coucher dans la nuit, sans allumer, tandis que les autres dormaient. Avant, lorsqu’il couchait encore dans une grande baraque, avec mille lits les uns sur les autres, il n’enlevait jamais son caleçon. Les autres non plus, car il faisait froid, encore au mois de mai, et l’été le Français du bureau logeait déjà dans la caserne.