J’ai organisé tout ce qui concernait les fiches, archives, classements et dossiers. Single se trouvait inutile et c’était très humiliant pour un Allemand.
Aussitôt après l’attentat contre Heydrich en Tchécoslovaquie, des milliers et des milliers de Tchèques ont commencé à arriver à Mauthausen. C’était un chambardement pour le bureau, nous devions rédiger, entre autres choses, les actes de décès de personnes dont nous ne connaissions même pas le nom. Schulz a demandé à Single de trouver un Tchèque qui parle allemand pour qu’il l’aide. Single a fait la sourde oreille. Il m’a dit de le chercher moi-même. J’ai regardé la liste des Tchèques déportés : c’étaient les intellectuels qui payaient les pots cassés. Il y avait des prêtres, des avocats, des professeurs d’université, etc. J’en ai trouvé un qui parlait russe, slovaque, polonais, allemand et qui avait de la « présence ». Il avait posé une bombe dans un train. A partir de ce moment-là, j’ai réalisé qu’on pouvait modeler le Kommando. Au bout de quatre ou cinq mois, Single a été libéré. Nous restions le Tchèque et moi, nous nous sommes promis qu’aucun fasciste n’entrerait dans ce Kommando. Ce garçon a obtenu des résultats magnifiques ; nous y avons fait entrer des Tchèques, des Grecs, des Polonais, des Espagnols, parmi eux Josep Bailina. Le seul à avoir été imposé par Schulz a été Kanthak. Nous nous y sommes pris de telle façon que nous avons fini par faire leur propre travail. Quand ils en changeaient un, le nouveau était incapable de travailler sans notre aide. Nous pouvions contrôler tous les dossiers, avoir les clés de tous les tiroirs. Si les dossiers nous parvenaient deux ou trois mois avant l’arrivée au camp, nous pouvions choisir les prisonniers : nous faisions le tri entre les nationaux-socialistes et les hommes qui méritaient notre aide. Nous avertissions ceux qui étaient condamnés à disparaître et leur groupe national s’en chargeait. Nous prenions contact d’abord avec les coiffeurs, ils faisaient la liaison. Ceux qui devaient être exécutés, nous les envoyions à l’hôpital pour passer la « quarantaine ». Nous les placions là-bas à côté d’un malade du typhus qui devait mourir forcément. Je me souviens d’un Polonais qui s’appelait Ladislau Czaplinski. Nous l’avons placé à côté d’un de ses compatriotes qui agonisait. « Sans lui dire que tu vas prendre sa place, essaie de te renseigner sur sa vie ». Il fallait faire parler celui qui allait mourir. Et ainsi au bon moment on changeait la feuille et il se faisait passer pour le malade du typhus. Nous cachions aussi les NN comme Josep Ester.