Un jour, à six heures, la cloche sonne, vite ! Aux lavabos sans chemise, sinon, celui qui la porte n’aura plus jamais envie de la mettre. Après la toilette, dehors et puis dans les Block pour prendre le café. Mais aujourd’hui il neige très fort et on ne sait pas s’ils vont nous envoyer au travail, même si jusqu’à maintenant on y est allé tous les jours, qu’il pleuve ou qu’il neige. Mais il neige de plus en plus fort, la chute de neige est si forte qu’il y a déjà une couche de dix centimètres. Pour l’instant, ils ne font sortir que ceux qui doivent aller décharger à la gare ou remplir les tâches indispensables au camp.
Cela fait une heure que l’appel a été fait et ils hésitent encore. Il n’arrête pas de neiger, notre triste chemise, notre veste et notre bonnet sont tout trempés. Soudain ils donnent des ordres : ceux qui restent n’iront pas travailler. Qu’est-ce qu’ils vont nous faire faire ? Ils nous mettent en rang dix par dix et ils nous obligent à piétiner la neige du camp en nous tenant par le bras. La neige doit être bien écrasée pour que les gens puissent circuler. Nous allons jouer les rouleaux compresseurs, nous allons bien aplatir la neige. Ils nous font circuler dans tout le camp par rangées de dix, imaginez ça, deux mille hommes marchant en long et en large, en long et en large, de neuf heures du matin à onze heures du soir, toujours sous la neige, écrasant la neige, en long et en large, en large et en long. Si elle n’est pas écrasée, on recommence, elle doit être bien écrasée, en long et en large. Certains perdent leurs savates, des sortes de mules attachées par derrière avec un cordon. En long et en large, tous se tenant par le bras, avec la neige qui est à moitié glacée, c’est très facile de perdre ses savates ; elles tombent mais les rangées de dix ne s’arrêtent pas. Ceux qui les perdaient devaient continuer pieds nus, écrasant sans arrêt la neige et on a avancé, jusqu’à onze heures du soir, quand ils ont dû en avoir marre de cette comédie.
Et alors, qu’est-ce qui s’est passé ? Le plus logique c’était de rentrer aux Block. Mais ils n’ont laissé partir que les vétérans, les privilégiés. Les autres, nous la chair à canon, ceux qui travaillaient dans les carrières, le rebut du camp, c’est-à-dire quatre-vingt pour cent, la grosse majorité, ils nous ont laissés dehors, dans la rue. Parce que si on rentrait dans le Block, on allait le salir et il ne fallait jamais salir le Block ; le Block devait toujours être bien propre et nous, bien sûr, nos chaussures elles étaient sales à force de piétiner la neige. Le Block c’était pour faire joli, avec ses lits qu’on n’utilisait pas, avec son poêle réservé au Kapo, aux Prominent !