La nuit à Buchenwald était calme. Le camp était une immense machine endormie. De temps à autre, les projecteurs s’allumaient aux miradors : l’œil des SS s’ouvrait et se fermait. Dans les bois qui entouraient le camp, les patrouilles faisaient des rondes. Leurs chiens n’aboyaient pas. Les sentinelles étaient tranquilles.
[…] La plupart d’entre nous ne savaient rien de l’histoire du camp ; histoire qui expliquait assez cependant les règles que les détenus avaient été amenés à s’imposer, et le type d’homme qui en était issu. Nous pensions que c’était ici le pire de la vie de concentration, parce que Buchenwald était immense et que nous y étions égarés. Ignorants des fondements et des lois de cette société, ce qui apparaissait d’abord, c’était un monde dressé furieusement contre les vivants, calme et indifférent devant la mort. Ce n’était en réalité souvent que le sang-froid dans l’horreur. Nous n’avions pas eu encore le temps de prendre sérieusement contact avec une clandestinité dont les nouveaux arrivants étaient loin de soupçonner l’existence.
Mais un camarade arrivé en même temps que nous au mois d’août avait été terrorisé à l’un des premiers appels au Petit Camp, par un kapo allemand, et il était devenu fou. Quand l’un de nous maintenant s’approchait de lui avec un morceau de pain et un couteau, il se cachait la figure dans le bras replié et suppliait : « Ne me tuez pas ! ».