Allemagne / Ravensbrück
Légende
Début : novembre 1938
Fin : avril 1945, "évacuations" / les troupes soviétiques libèrent le camp le 30 avril 1945
Environ 130 000 prisonnières sont passées par le camp ; 20 000 hommes
Environ 28 000 ou 29 victimes féminines et 2500 hommes.
« L’enfer des femmes » : c’est sous cette formule que Ravensbrück est entré dans l’histoire des camps de concentration nazis. Situé à proximité de Fürstenberg an der Havel, à environ 80 km au nord de Berlin, c’était le principal et, avec celui d’Auschwitz-Birkenau, le plus grand camp de femmes du système concentrationnaire nazi. Par ailleurs, le développement de ce camp au cours de ses presque six années d’existence (mai 1939-fin avril 1945) a donné naissance à un authentique complexe concentrationnaire. À côté du grand camp de femmes, il comprenait, à la fin de 1944 et au début de 1945, une cité manufacturière, avec des entreprises de textile appartenant à la SS, un petit camp d’hommes, le camp d’internement administratif de jeunes d’Uckermark, une filiale du groupe d’industrie électrique Siemens et Halske, avec le »camp Siemens« qui lui était rattaché, ainsi que treize camps satellites pour les prisonniers des deux sexes situés au nord-est du territoire du Reich.
Organisation et surveillance
Le premier commandant du camp fut le SS-Hauptsturmführer Max Koegel, d’abord à titre intérimaire, puis officiellement à partir du 1er janvier 1940. Après la mutation de Koegel au camp de concentration de Lublin/Majdanek en août 1942, l’ancien premier Schutzhaftlagerführer (commandant adjoint responsable de l’ordre) du camp de concentration de Sachsenhausen, le SS-Hauptsturmführer Fritz Suhren, assura le commandement du camp de Ravensbrück jusqu’à la fin avril 1945.[1]
La surveillance de ce grand camp de femmes présentait trois différences majeures par rapport à celle des camps d’hommes. La première, et la plus importante, était que la surveillance intérieure était exclusivement assurée par des gardiennes SS.[2] Entre le printemps 1942 et septembre 1944 et même en partie par la suite, Ravensbrück a été le principal camp de formation pour les gardiennes du système concentrationnaire en forte expansion. Une autre de ses caractéristiques est d’avoir eu recours bien plus précocement que les autres camps à des chiens de garde, notamment pour la surveillance des commandos de travail employés à l’extérieur de l’enceinte du camp. En revanche, les équipes masculines de SS chargées de la surveillance extérieure n’ont été affectées à Ravensbrück qu’au moment de la création du petit camp d’hommes en avril 1941.
Le complexe concentrationnaire
La construction du camp d’hommes a constitué une première extension. Ravensbrück est ainsi devenu, au sein du système des camps de concentration, la première camp hébergeant des détenus des deux sexes. Le camp d’hommes servait avant tout de réservoir de main-d’œuvre pour les incessants travaux d’agrandissement du complexe concentrationnaire. S’y ajouta jusqu’à la fin de 1942, la fonction de camp disciplinaire, marqué par un rythme de travail implacable, des sévices et des actes de violence entraînant fréquemment la mort. Les effectifs totaux des détenus masculins du complexe de Ravensbrück s’élevaient à 20 000. Parmi eux, 2 500 environ trouvèrent la mort dans ce camp.
Le « camp de jeunes » d’Uckermark, construit en juin 1942, relevait lui aussi de l’autorité du commandant du camp de concentration de Ravensbrück, situé au voisinage. Les conditions de vie des 1 200 détenues âgées de 18 à 21 ans ressemblaient beaucoup à celles du camp de femmes entre 1939 et 1941. Par sa fonction, ce « camp de jeunes » représentait une anticipation expérimentale, tout en servant de préparation méthodique à un programme raciste et social radical, qui aurait dû être appliqué après la « victoire finale ». Ce programme visait à désigner un certain nombre d’individus comme des « ennemis » de la « communauté du peuple » en vertu de critères plus ou moins flous, et à les tenir à l’écart ou à les « rééduquer » par un mélange de terreur et de travail forcé.
Le groupe berlinois d’électricité Siemens & Halske fut de loin la première entreprise privée à faire travailler des détenues, et également l’une des rares à installer une nouvelle usine à proximité immédiate d’un camp de concentration (été 1942). En janvier 1945, le site de production de Siemens regroupait 20 ateliers dans lesquels quelque 2 300 détenues effectuaient du travail forcé. Cette entreprise, leader sur le marché de l’industrie électrique absolument essentielle pour l’économie de guerre allemande, avait déjà employé à Berlin des travailleurs forcés, juifs et autres. En ce sens, la filiale Siemens de Ravensbrück constitue un prolongement et une radicalisation progressive d’un modèle déjà éprouvé. La même observation s’applique à la majorité des établissements et entreprises qui apparurent au début de 1943 comme exploitants des camps satellites de Ravensbrück.
S’agissant de ces 42 camps satellites de Ravensbrück, il convient de souligner qu’ils se distinguaient considérablement par leur ordre de grandeur. Les détenues étaient principalement employées à la production, en particulier pour l’armement aérien et la fabrication de munitions de toutes sortes. Dans le cadre d’une restructuration fondamentale, Ravensbrück céda en septembre 1944 près de la moitié de ses camps satellites (20) ainsi qu’environ le tiers de l’ensemble des détenues (14 500) aux camps principaux les plus proches de chacun d’eux : Buchenwald, Flossenbürg, Sachsenhausen, Neuengamme et Mauthausen. Des documents d’époque révèlent que le travail forcé des détenues affectées à la production était très rentable pour les exploitants. En effet, les frais annexes étaient réduits à l’extrême et les entreprises pouvaient à tout moment renvoyer au camp central les détenues épuisées pour les échanger contre des « neuves ».
Camp de femmes
Avec un total de près de 123 000 détenues, le camp de femmes est resté pendant toute la durée d’existence du complexe concentrationnaire de Ravensbrück son plus grand secteur, et le plus important. Les détenues étaient originaires de toutes les régions d’Europe sous occupation allemande. Ventilées par nationalité, les Polonaises représentaient le plus gros contingent (40 000 femmes), suivies par quelque 25 000 femmes d’Union soviétique, environ 22 000 Allemandes et Autrichiennes, approximativement 9 000 Juives hongroises et un peu plus de 8 000 Françaises. Les chiffres d’admissions se présentent ainsi :
1939 |
1940 |
1941 |
1942 |
1943 |
1944 |
1945 |
1100[3] |
2700 |
3600 |
7000 |
10 000 |
70 500 |
25 000 |
S’agissant des conditions de vie, l’histoire du camp de femmes peut se diviser en quatre phases, marquées par des chances de survie extrêmement disparates. Au cours de la première période, les conditions de logement, la nourriture et l’habillement sont décrits comme relativement supportables. La situation ne cessa en revanche de s’aggraver à partir de 1940/1941. Entre 1939 et 1942, la « vie quotidienne du camp » fut caractérisée par un ordre et une discipline militaires poussés jusqu’à l’absurde, ainsi que par les brimades arbitraires exercées par les gardiennes SS. Cependant, la terreur qui régnait au camp de femmes de Ravensbrück se distinguait par un certain nombre d’éléments du modèle dit de Dachau, déterminant pour les camps d’hommes – dont celui de Ravensbrück jusqu’à la fin de 1942. Certaines des méthodes de torture employées dans les camps d’hommes, telles que l’« exercice disciplinaire » et la « suspension », ne furent pas pratiquées au camp de femmes. De même, on n’y relève pas de cas de détenues abattues sous prétexte de tentative de fuite, une pratique très prisée des gardiens SS dans les camps d’hommes. En revanche, les appels interminables, les bastonnades ainsi que le climat de brutalité indicible du bâtiment cellulaire – la prison du camp – où les sévices entraînant la mort n’étaient pas rares, ne se distinguaient guère de ce qui se passait dans les camps d’hommes.
Au cours des deux premières années, les détenues souffrirent tout particulièrement des travaux physiquement pénibles requis par l’extension du camp, qui ne furent pas marqués cependant par la terreur brutale qui s’y ajoutait, dans bien des cas, dans les camps d’hommes. L’idée de mobiliser les détenues pour des activités de production n’apparut qu’à l’été 1940 avec la création de l’entreprise textile SS (Texled en abrégé). Le secteur industriel, avec les ateliers de fabrication de la Texled, connut plusieurs agrandissements durant les années suivantes. En plus d’un atelier de fabrication de chaussures de paille qui exista jusqu’à la fin de 1943, d’un atelier de tressage de palissades en roseau, d’ateliers de tissage et de pelleterie, la Texled était essentiellement formée de plusieurs ateliers de couture. Les effectifs de détenues qui y étaient employées atteignirent leur point culminant en septembre 1942 avec plus de 5 000 femmes (soit 60 % de l’ensemble des détenues). Ils diminuèrent ensuite progressivement pour se stabiliser à environ 3 000 détenues à partir de décembre 1943. Le contrôle du travail et la surveillance disciplinaire étaient entre les mains de la SS, ce qui engendrait un climat de terreur immédiate. L’atmosphère de travail à la Texled était marquée par une alourdissement constant des tâches, lequel était dans bien des cas brutalement imposé aux femmes.
S’y ajoutèrent entre 1941 et 1943 de nombreuses affectations dans les exploitations agricoles des environs. Malgré un travail souvent extrêmement pénible, ces commandos étaient très convoités car ils permettaient de dérober des fruits et des légumes et de les rapporter clandestinement au camp. Aussi les Polonaises, nettement prédominantes au sein de ces commandos, décrivent-elles cette période comme des « années grasses ».
L’opération « 14 f 13 » – le prolongement du processus d’« euthanasie » dans les camps de concentration – au printemps 1942 marqua une première césure, qui n’aurait pu être plus radicale. Le nombre de détenues qui trouvèrent la mort dans ce contexte (1 600 en tout, parmi lesquelles la quasi intégralité des Juives du camp) représentait près du quart des effectifs du camp de femmes et dix fois le nombre de décès enregistrés au cours des trois premières années. Les détenues virent ainsi peser sur leur vie une nouvelle menace difficile à évaluer, qui resta prégnante jusqu’à la libération. Après la fin de l’opération « 14 f 13 », les détenues « indésirables » furent tuées par injections de phénol ou de morphine, ou assassinées dans les chambres à gaz du « sanatorium » de Hartheim/Linz. Un autre « transport noir » comprenant environ 800 détenues partit au début de février 1944 pour le camp de concentration et d’extermination de Lublin/Majdanek.[4] Même si les détenues n’y furent pas tuées dans les chambres à gaz, une grande partie d’entre elles y succombèrent rapidement à une mort « naturelle ».[5]
À partir de 1943, avec la multiplication des camps satellites, le camp de femmes commença à faire fonction d’immense plaque tournante et de lieu de transit pour les détenues de camps de concentration. Il devint aussi – au sens propre bien souvent – le terminus pour les détenues malades et épuisées, reconduites à Ravensbrück depuis les camps satellites en vertu d’accords conclus avec les entreprises. Dans l’ensemble, au cours des deux dernières années de guerre, au moins une détenue de Ravensbrück sur deux se retrouva dans un des camps satellites après un séjour plus ou moins long au camp principal. Malgré d’importantes fluctuations, le nombre de détenues du camp principal augmenta à partir de 1943, et même brutalement à dater de l’été 1944. En même temps, les conditions de vie se dégradèrent rapidement : nourriture, logement, conditions sanitaires et hygiène. La gestion de la misère croissante, qui se faisait systématiquement avec un temps de retard, entraîna une différenciation de plus en plus marquée entre les différents secteurs du camp, caractérisés par des chances de survie extrêmement inégales.
En 1944, l’alimentation quotidienne des détenues se limitait à un gobelet d’ersatz de café sans sucre le matin, un demi-litre de soupe claire à midi et le soir, auxquels s’ajoutaient environ 200 grammes de pain. Les détenues qui travaillaient bénéficiaient parfois de deux ou trois pommes de terre en plus. La soupe, généralement composée de navets ou de pommes de terre plus ou moins gâtées, ne contenait ni matières grasses ni sel. À la fin de la semaine, on distribuait aux détenues environ 20 g d’un produit ressemblant à de la margarine, avec un morceau de fromage ou une cuiller de confiture de guerre diluée. Le Dr Don Zimmet-Gazel, médecin française et rescapée de Ravensbrück, estime la valeur nutritive de la ration alimentaire des derniers mois entre 900 et 1000 calories par jour, soulignant que ce « régime » était particulièrement pauvre en lipides et en glycogènes.
À partir du début de 1944, le taux d’occupation du camp, surtout dans les deux dernières séries de baraques et dans les blocs d’admission, était trois fois supérieur, voire quatre fois vers la fin de l’année, aux effectifs prévus à l’origine. Les blocs 1 à 3 faisaient exception, car on y logeait essentiellement les détenues chargées de différentes fonctions au sein du camp. Ils étaient toujours moins peuplés, et il y régnait un ordre et une propreté relatifs, par rapport aux autres blocs.
À dater de 1943, l’importance que la SS et les entreprises et établissements concernés attachaient à la main-d’œuvre industrielle pesa de façon de plus en plus déterminante sur les conditions de vie des détenues. En témoigne la construction de sections séparées au sein du camp destinées aux plus de 5 000 détenues employées par la Texled et par Siemens à partir respectivement du début ou de la fin de 1944. En même temps, vers la fin de 1943 et le début de 1944, des secteurs de plus en plus vastes du camp de femmes (en particulier les blocs de malades et la tente, à partir de l’été 1944) se transformèrent à un moment ou à un autre en « mouroirs » : la sous-alimentation dramatique et des sélections régulières pour l’extermination y firent un nombre de victimes supérieur à la moyenne. À partir de l’automne 1944, près du quart de l’ensemble des baraques de logement furent désignés comme blocs de malades, dans le but non pas de les soigner, mais de les isoler.
Les admissions massives du deuxième semestre de 1944 – 52 000 en tout, soit 42 % des effectifs totaux de détenues – ne firent pas que dépasser les capacités d’accueil et d’approvisionnement du camp. Elles excédaient également les estimations réalistes des besoins de main-d’œuvre, notamment parce que la production de la Texled, de Siemens mais aussi des camps satellites se trouva de plus en plus ralentie par des problèmes d’approvisionnement dus aux bombardements aériens alliés. Une large proportion des nombreuses nouvelles arrivées risquait, après les épreuves déjà redoutables du transport, d’être d’emblée classées comme « superflues ». Il s’agissait en majorité de Polonaises déportées après l’insurrection de Varsovie, de Juives hongroises et de détenues d’Auschwitz.
La tente, où elles étaient logées de manière on ne peut plus précaire, se transforma rapidement en voie d’accès à la zone de mort, ce qui témoigne bien du tragique de leur situation. Jusqu’à 3 000 femmes s’y trouvèrent parquées, sans couvertures, sur un sol simplement recouvert d’une mince couche de paille. En raison de l’absence presque totale d’eau et de nourriture, d’installations sanitaires et de soins médicaux, la faim, l’épuisement et les épidémies prélevaient quotidiennement un nombre de victimes supérieur à la moyenne parmi les détenues qui y étaient logées. La situation de départ, et donc les chances de survie de ces détenues, étaient bien plus médiocres que celle des nouvelles admissions des années précédentes, à moins qu’elles n’aient eu la chance d’être transférées, plus ou moins rapidement, vers les camps satellites. Parmi les victimes de cette évolution figuraient aussi les enfants, les femmes enceintes et les nouveau-nés, qui se voyaient infliger un traitement cruel conforme à l’attitude impitoyable à l’égard de tous les détenus « inaptes au travail ». D’après les registres des naissances qui nous sont parvenus, la moitié des 522 enfants qui vinrent au monde à Ravensbrück entre la mi-septembre 1944 et la fin avril 1945 moururent quelques jours ou quelques semaines après leur naissance. Au moins 80 autres nourrissons furent évacués avec leurs mères en mars 1945 vers le camp de concentration de Bergen-Belsen, déjà surpeuplé et où régnait une épidémie de typhus exanthématique, ce qui constituait eux une condamnation à mort pour beaucoup d’entre.
Phase finale
Les derniers mois, enfin, sont à classer à part dans l’histoire du complexe concentrationnaire. Cette dernière phase fut en effet intégralement placée sous le signe de la défaite imminente du régime nazi et des efforts délirants de la SS pour ne laisser aucun détenu tomber aux mains des troupes alliées. En plus de ses autres fonctions, Ravensbrück devint alors un centre d’accueil pour les flots de détenus en provenance d’autres camps de concentration. À la mi-janvier 1945, Ravensbrück et ses camps satellites abritaient 46 000 détenues et tout juste 8 000 détenus. Et les transports d’évacuation continuaient à arriver, notamment d’Auschwitz.
La situation du camp de femmes, déjà catastrophique au cours des mois précédents, s’aggrava encore, entraînant une forte hausse du nombre de morts « naturelles », lesquelles atteignirent près de 4 000 entre janvier et mars. Les capacités de logement du camp de femmes de Ravensbrück étant plus que saturées, la direction du camp fit transférer une grande partie des femmes « évacuées » d’Auschwitz à Neustadt-Glewe, Malchow et Rechlin dans les semaines suivantes. Mais ces camps satellites relativement vastes eux-mêmes abritèrent rapidement plus de quatre fois le nombre prévu de détenus, provoquant, là encore, une augmentation brutale du taux de décès.
En même temps, la direction du camp chercha à se débarrasser d’un plus grand nombre de détenues, par tous les moyens possibles. C’est ainsi qu’un peu plus de 2 000 Polonaises déportées à la suite de l’insurrection de Varsovie furent envoyées en travail forcé à l’extérieur du camp, tandis que plus de 10 000 détenues et plus de 4 200 détenus étaient transférés dans d’autres camps de concentration et dans leurs camps satellites ; par ailleurs, on laissa mourir ou l’on tua environ 10 000 détenus, en majorité des femmes. Parmi les convois de détenues qui quittèrent Ravensbrück, il faut accorder une attention particulière à celui qui partit pour Mauthausen début mars, et à deux autres, à destination de Bergen-Belsen, fin février et fin mars. Ces transports incluaient à eux trois environ 5 000 personnes, dont des groupes de détenues faisant l’objet d’une persécution particulière (les Sinti et les Roms, et les détenues « Nuit et Brouillard » françaises et belges) ainsi que la quasi totalité des enfants et nouveau-nés survivants avec leurs mères. En même temps, grâce à des négociations engagées par de hauts responsables SS notamment avec des représentants de la Croix Rouge suédoise et du World Jewish Congress, 7 800 détenues de Ravensbrück purent être libérées en avril 1945, peu avant la fin de la guerre – principalement dans le cadre de l’« opération Bernadotte ».
Les développements décisifs de cette dernière phase furent la transformation du « camp d’internement administratif de jeunes » d’Uckermark en camp de mort et de sélection, et la mise en place au début de 1945 d’une chambre à gaz provisoire où entre 5 000 et 6 000 détenus (surtout des femmes) furent atrocement assassinés. La SS s’efforça – vainement pour finir – de garder le secret sur ces gazages en supprimant a posteriori les assassinées des registres d’effectifs du camp pour les inscrire sur des listes de détenues prétendument transférées au « camp de repos de Mittwerda ». Une seule de ces « listes Mittwerda » – celle du 6 avril – a pu être sauvée par les détenues. Elle contient les noms et les numéros de détenues de 496 femmes, assassinées selon toute vraisemblance lors des derniers gazages du 30 mars, et porte la signature du commandant Suhren. Une comparaison avec d’autres documents a révélé qu’en majorité, les victimes de la chambre à gaz avaient plus de 40 ans et qu’une grande majorité d’entre elles n’avaient été déportées à Ravensbrück qu’à partir d’août, et plus de la moitié même à partir de novembre 1944 seulement. Dans 140 cas au moins, il s’agissait de femmes (principalement des Polonaises et des Juives hongroises) qui avaient survécu à Auschwitz et Majdanek.
Dans l’ensemble, plus de la moitié des quelque 28 000 à 29 000 victimes qui ont péri dans le complexe concentrationnaire de Ravensbrück[6] – exécutions massives délibérées comprises – ont trouvé la mort au cours des quatre derniers mois, peu avant la libération du camp par des unités de l’Armée Rouge à la fin du mois d’avril 1945. S’y ajoutent les victimes des « marches d’évacuation », impossibles à chiffrer, faute de documents sûrs.
Berhard Strebel
Traduit de l’allemand par Odile Demange
©Musée de la Résistance et de la Déportation, Citadelle, Besançon
[1] Koegel s’est suicidé en juin 1946 alors qu’il était détenu par les Américains. Condamné à mort à Rastatt en 1950 par un tribunal militaire français, Suhren a été exécuté. L’exposé qui suit repose sur : Bernhard Strebel, Ravensbrück. Un complexe concentrationnaire. Préface de Germaine Tillion, Paris, 2005, où l’on trouvera une bibliographie complète.
[2] En réalité, les gardiennes n’étaient pas membres de la SS, mais appartenaient à la « SS-Gefolge », littéralement l’entourage, l’escorte de la SS. Sur le plan administratif, elles étaient enregistrées comme « auxiliaires féminines ». Mais sur le plan disciplinaire, elles étaient soumises, comme les membres masculins de la SS, à la juridiction de la SS.
[3] Auxquelles il faut ajouter un millier de détenues du précurseur de Ravensbrück, le camp de concentration de femmes de Lichtenburg.
[4] Il s’agissait de convois dont les détenues étaient bien obligées de supposer que leurs passagères étaient vouées à l’extermination.
[5] La formule de « mort naturelle » établit une distinction conceptuelle avec des opérations délibérées de mise à mort, même s’il n’est évidemment pas « naturel » de mourir de faim, de maladies non soignées ou des suites de mauvais traitements en détention, pas plus que de succomber à l’épuisement dû au travail forcé.
[6] Avec une nette différenciation selon le sexe : entre 25 000 et 26 000 quelque 2 550 détenues.
Liste des camps annexes et Kommandos du camp de Ravesnbrück
Barth |
Belzig |
Berlin-Oberschöneweide |
Berlin-Schönefeld (Heikel) |
Dabelow |
Eberswalde |
Feldberg (Mecklenburg) |
Fürstenberg/Havel |
Genthin |
Grüneberg |
Hennigsdorf |
Hohenlychen |
Karlshagen |
Klützow |
Königsberg in der Neumark |
Landkreis Teltow-Fläming |
Leipzig Shoenfeld |
Malchow |
Neustadt-Glewe |
Peenemünde |
Prenzlau |
Rechlin |
Retzow |
Rostock |
Rostock-Marienehe |
Rostock-Schwarzenforst |
Stargard |
Velten |
Bibliographie
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution 1939-1945, 4 vols., Paris, 2004.
- Les Françaises à Ravensbrück, édit. par L’Amicale de Ravensbrück et l’Association des Déportées et Internées de la Résistance, Paris, 1965.
- Postel-Vinay Anise, « Les exterminations par gaz à Ravensbrück », in G. Tillion, Ravensbrück, pp. 305-330.
- Strebel Bernhard, Ravensbrück. Un complexe concentrationnaire, préface de Germaine Tillion, Paris, 2005.
- Tillion Germaine, Ravensbrück, Paris, 1988.