Pologne / Auschwitz I
Légende
Histoire du complexe d'Auschwitz-Birkenau
1,3 millions de personnes ont été déportées à Auschwitz et 1,1 million y sont mortes : 960 000 Juifs, 70 000 à 75 000 Polonais non-juifs, 21 000 Tziganes, 15 000 prisonniers de guerre soviétiques et 10 000 à 15 000 détenus d'autres nationalités (Soviétiques, Tchèques, Yougoslaves, Français, Allemands et Autrichiens).
Un vaste ensemble concentrationnaire
Le 27 avril 1940, un camp de concentration est créé sur ordre d'Heinrich Himmler à Oswiecim, Auschwitz en allemand, une ville de Haute-Silésie annexée au Reich, située à 80 kilomètres de Cracovie. Ce camp est destiné à l'internement de détenus polonais, arrêtés massivement depuis l'invasion du pays en septembre 1939. Il est implanté dans une ancienne cité de travailleurs migrants, construite avant la Première Guerre mondiale, alors que la ville, incluse dans la province austro-hongroise de Galicie, se trouvait à la frontière des empires allemand et russe. L'ensemble, transformé en caserne d'artillerie après 1918 est constitué d'une vingtaine de bâtiments en briques dans lesquels des prisonniers de guerre polonais ont été parqués par la Wehrmacht avant d'être envoyés en Allemagne.
Le commandant du camp, Rudolf Höss, est nommé le 4 mai 1940, et lance immédiatement des travaux d'aménagement auxquels sont employés de force 300 Juifs, mis à sa disposition par les autorités de la ville. Le 20 mai, une trentaine de criminels de droit commun de nationalité allemande sont transférés du camp de Sachsenhausen à Auschwitz pour encadrer les futurs détenus. Le 14 juin, un premier convoi de 728 Polonais, dont des Juifs, arrive de la prison de Tarnów à l'est de Cracovie. La population du quartier de Zasole et d'une dizaine de villages environnants est expulsée pour constituer autour du camp une « zone d'intérêts » de 40 km2 (Interessengebiet), au confluent de la Vistule et de la Sola.
A l'instar de tous les camps de concentration, Auschwitz se dote dès l'été 1940 d'un Krematorium où les cadavres des détenus sont brûlés par mesure sanitaire afin d'éviter les épidémies. Les fours, construits dans un ancien dépôt à munitions, sont livrés par la société Topf und Söhne d'Erfurt. 10 900 prisonniers, Polonais pour la plupart, sont enregistrés entre le 20 mai 1940 et le 1er mars 1941, date à laquelle Heinrich Himmler visite le camp pour la première fois.
Le Reichsführer SS ordonne à cette occasion de procéder à des travaux d'agrandissement pour porter la capacité d'Auschwitz à 30 000 détenus, et de construire, en prévision de l'attaque contre l'URSS, un deuxième camp destiné à 100 000 prisonniers de guerre à l'emplacement du village polonais de Brzezinka (Birkenau en allemand). En outre, 10 000 détenus doivent être mis à la disposition du conglomérat chimique IG Farben qui décide d'installer à Dwory, à quelques kilomètres d'Oswiecim, une usine de production de caoutchouc et d'essence synthétiques appelée Buna-Werke. La main d'œuvre concentrationnaire est louée au groupe industriel, qui doit verser 4 Reichsmarks par jour à l'administration SS pour un ouvrier spécialisé et 3 Reichsmarks pour un travailleur non-qualifié.
Dans le camp principal, Stammlager, huit nouveaux blocs sont construits sur la place d'appel et quatorze blocs existants surélevés d'un étage. L'ensemble comporte désormais vingt-huit bâtiments, entourés d'une double ceinture de fils barbelés électrifiés haute d'environ trois mètres, où plus de 20 000 détenus sont entassés en octobre 1941. Comme à Dachau, la grille d'entrée est surmontée avec cynisme de la devise Arbeit macht frei (le travail rend libre). Une prison est installée dans le bloc 11. C'est le lieu des jugements et des exécutions décidées par la Politische Abteilung (section politique) qui dépend directement des services de sécurité de Katowice (Sipo-SD). De nombreux détenus y sont également interrogés sous la torture. Les condamnés à mort sont fusillés devant le « mur de la mort » dans la cour qui sépare les blocs 10 et 11.
Le 3 septembre 1941, 600 prisonniers de guerre soviétiques et 250 détenus polonais malades, sélectionnés à l'hôpital du camp, sont enfermés dans les sous-sols de ce bloc et tués au moyen d'un gaz toxique, le Zyklon B, utilisé pour la désinfection des vêtements et des bâtiments. A la suite de cette première expérimentation, la morgue du Krematorium, une grande salle de 78 m2, est aménagée en chambre à gaz provisoire. Des prisonniers de guerre soviétiques et des Polonais y sont éliminés de façon épisodique dans le cadre de l’Aktion 14F13, qui prévoit la liquidation des détenus devenus « inaptes au travail ». D'après l'historien polonais Franciszek Piper, les premiers gazages de Juifs de Silésie auraient été effectués dès l'automne 1941.
En octobre 1941, près de 10 000 prisonniers de guerre soviétiques sont envoyés à Auschwitz, et employés à la construction du camp de Birkenau, dont le chantier vient d'être lancé. Le village de Brzezinka est entièrement rasé, et les matériaux des maisons démolies utilisés pour construire les nouveaux baraquements. Le terrain, marécageux, est nivelé, et des canaux de drainage creusés. Une route est également aménagée pour relier Birkenau au camp principal, à trois kilomètres. Alors que le chantier se poursuit, il est décidé à Berlin d'utiliser massivement la main d'œuvre soviétique à l'intérieur du Reich pour répondre aux besoins de l'industrie allemande. Confirmant cette nouvelle orientation, Himmler ordonne le 25 janvier 1942 que des Juifs soient déportés à Auschwitz en lieu et place des soldats soviétiques avec deux issues : la mort immédiate pour les uns et le travail forcé jusqu'à épuisement pour les autres. Le camp de prisonniers de guerre (KGL, Kriegsgefangenenlager) est liquidé le 1er mars 1942, et les 945 militaires encore en vie sont transférés à Birkenau.
Auschwitz et la Solution finale
Le 20 janvier 1942, au cours de la conférence de Wannsee, Reinhard Heydrich, responsable de l'Office central de sécurité du Reich (RSHA) et bras droit d'Himmler, présente l'organisation de la « Solution finale de la question juive » aux principaux dignitaires du régime nazi. 11 millions de Juifs vivant en Europe doivent être déportés à l'Est et éliminés. Le camp d'Auschwitz-Birkenau, situé au cœur d'un important réseau ferroviaire, occupe une place centrale dans ce dispositif. L'organisation des déportations est confiée à Adolf Eichmann, qui dirige le Bureau des affaires juives du RSHA (IVb4). Des convois en provenance de Pologne et de toute l'Europe occupée sont dirigés vers Auschwitz. Le 15 février 1942, le premier transport daté avec précision, en provenance de Beuthen, en Haute-Silésie, est « liquidé » dans la chambre à gaz provisoire du Stammlager. Le 26 mars, un millier de femmes juives slovaques arrivent à Auschwitz. Le 30, 1112 hommes déportés de France, partis du camp de Compiègne trois jours plus tôt, sont enregistrés puis parqués à Birkenau, qui n'est encore qu'un vaste chantier. Plus de 90 % d'entre eux meurent avant la fin du mois d'août. Les déportations s'enchaînent. Un premier convoi arrive des Pays-Bas le 17 juillet, de Belgique le 5 août, de Yougoslavie le 18, de Norvège le 1er décembre et d'Allemagne le 10. Au total, 175 000 Juifs sont déportés à Auschwitz au cours des six derniers mois de l'année 1942, alors que les centres de mise à mort de l’Aktion Reinhardt fonctionnent à plein régime.
Arrivée des premiers convois de Juifs à Auschwitz (selon les pays)
Ghettos avoisinant Auschwitz : mars 1942
Slovaquie : 26 mars 1942
France : 30 mars 1942
Pays-Bas: 17 juillet 1942
Belgique: 5 août 1942
Yougoslavie : 18 août 1942
Camp-ghetto de Theresienstadt : 28 octobre 1942 (Tchécoslovaquie)
Norvège : 1er décembre 1942
Allemagne : 10 décembre 1942
Grèce: 20 mars 1943
Italie : 23 octobre 1943
Lettonie : 5 novembre 1943
Autriche : 2 décembre 1943
Hongrie: 16 mai 1944
Ile de Rhodes : 16 août11944
Ghetto de Lodz (dernier ghetto encore existant en Pologne) : août 1944.
Après plusieurs jours de voyage dans des wagons plombés, subissant des conditions d'hygiène effroyables, les déportés arrivent sur la Judenrampe, une plate-forme de déchargement aménagée à l'extérieur du camp de Birkenau, sur des voies périphériques de la gare d'Oswiecim. A partir du mois de juillet 1942, les SS procèdent systématiquement sur ce quai à une « sélection » entre les détenus considérés comme aptes au travail et tous les autres, en moyenne 80 % des déportés, qui sont dirigés immédiatement vers les installations de mise à mort, sans entrer dans le camp. Destinés à être anéantis sans laisser de trace, ces derniers n'apparaissent dans aucun registre ni document officiel. La « sélection » n'est pratiquée qu'à Birkenau, et, dans une moindre mesure, à Majdanek. A Chelmno, Treblinka, Belzec et Sobibor, tous les déportés sont gazés à l'arrivée des convois, à l'exception de ceux qui sont laissés en vie temporairement pour incinérer les corps des autres et trier les biens récupérés. Les Juifs sélectionnés pour le travail, dont la proportion varie selon les périodes, les convois, et les besoins de main d'œuvre, sont « désinfectés » et reçoivent un numéro de matricule qui leur est tatoué sur la poitrine, puis sur l'avant-bras gauche. Ils sont conduits ensuite vers les baraques de la Quarantaine, où ils peuvent rester plusieurs semaines avant d'être affectés dans des équipes de travail, les Kommandos.
La première tranche de construction (Bl) est achevée à Birkenau en août 1 942, et divisée en deux secteurs : Bla pour les femmes et Blb pour les hommes. Les bagages des victimes, abandonnés sur la rampe d'arrivée, sont transportés et triés dans un secteur spécial (Effektenlager), situé alors entre Auschwitz et Birkenau et surnommé « Kanada ».
A l'issue de la sélection, les femmes accompagnées de leurs enfants, les adolescents de moins de 16 ans, les personnes âgées et handicapées, et tous ceux dont la survie provisoire n'est pas jugée utile à l'industrie allemande sont transportés en camions militaires vers les Bunkers I et II, à l'écart du camp de Birkenau.
Ces nouvelles chambres à gaz, appelées par les détenus « maison rouge » et « maison blanche », sont aménagées dans deux bâtiments de ferme. Le Bunker I, mis en service en mars 1 942, est composé de deux salles d'une superficie totale de 83 m2, dans lesquelles 400 personnes peuvent être gazées en même temps. Le Bunker II, situé à 500 mètres du premier, fonctionne à partir du mois de juin 1942. Il est divisé en quatre pièces, sur 123 m2, où 600 personnes peuvent être tuées au total.
Chacun des deux Bunkers est doté de deux baraques vestiaires en bois dans lesquelles les victimes sont contraintes de se déshabiller avant d'être poussées dans les chambres à gaz. Une fois les portes refermées, des SS équipés de masques à gaz déversent le contenu des boîtes de Zyklon B à l'intérieur par des ouvertures latérales, percées en haut des murs. Chaque action de gazage est supervisée par un médecin SS qui ordonne l'ouverture des portes après un laps de temps d'une vingtaine de minutes en moyenne. La pièce est ventilée pour évacuer le gaz. Un groupe spécial de détenus Juifs, le Sonderkommando, doit ensuite vider les chambres à gaz, couper les cheveux des femmes, arracher les bijoux et les dents en or, puis charger les corps sur des wagonnets et les enterrer dans une dizaine de fosses communes de vingt mètres de long creusées à proximité. En dehors des Juifs des ghettos environnants, la plupart des déportés de France, de Belgique et des Pays-Bas ont été assassinés dans ces chambres à gaz provisoires. C'est le cas en particulier des victimes des rafles du Vel' d'Hiv' (16 et 17 juillet 1942) et de la zone libre (26 août 1942). Il ne reste aujourd'hui aucune trace du Bunker I, et seulement quelques ruines du Bunker II.
Les 17 et 18 juillet 1942, Heinrich Himmler se rend à Auschwitz pour la seconde fois. Il assiste à l'arrivée d'un convoi des Pays-Bas, à la « sélection » des Juifs sur la Judenrampe, et à leur gazage dans le Bunker II. A la suite de cette inspection, Rudolf Höss reçoit sans doute l'ordre de développer Birkenau pour en faire le principal site d'extermination des Juifs d'Europe. Le 15 août 1942, est adopté un plan d'agrandissement qui prévoit l'aménagement de nouveaux secteurs de baraquements (Bll, BIll et BIV) et la construction de quatre structures intégrées de gazage et d'incinération, les Krematorien (crématoires) II, III, IV et V. La réalisation de ces nouvelles installations est confiée à des entreprises civiles allemandes, dont la société Topf und Söhne qui remporte le marché des fours.
En septembre, le Standartenführer SS Paul Blobel, chargé d'effacer les traces des massacres commis par les Einsatzgruppen au cours de l'invasion de l'Union soviétique (Aktion 1005), arrive à Auschwitz avec l'ordre de liquider les fosses communes de Birkenau. Tous les corps enfouis dans les fosses derrière les Bunkers I et II doivent être incinérés pour dissimuler l'extermination et mettre fin à une situation sanitaire devenue intenable. En l'espace de deux mois, plus de 100 000 cadavres sont déterrés et brûlés sur d'immenses bûchers à ciel ouvert. Début décembre, le Sonderkommando chargé de ce travail est conduit sous forte escorte au camp principal et liquidé dans la chambre à gaz du Krematohum I. Enfin, à la demande d'Himmler, les véhicules chargés du transport du Zyklon B sont désormais maquillés en camionnettes de la Croix-Rouge.
La construction des nouvelles chambres à gaz est achevée au printemps 1943. Le Krematorium IV est livré en état de marche le 22 mars, le Krematorium II le 31 mars, le Krematorium V le 4 avril, et le Krematorium III le 25 juin. Ces usines de mort, qui fonctionnent selon des procédés industriels, n'ont aucun équivalent historique.
Les Krematorien II et III, construits symétriquement, sont composés en sous-sol d'une salle de déshabillage longue de cinquante mètres et d'une chambre à gaz de trente mètres sur sept, creusée perpendiculairement, qui peut contenir plus de 1500 personnes. Les boîtes de Zyklon B sont vidées à l'intérieur par quatre ouvertures pratiquées dans le plafond et fermées par des trappes. Les cristaux, imprégnés d'acide cyanhydrique, tombent à travers des colonnes grillagées afin d'accélérer la propagation du gaz mortel. Au rez-de-chaussée, cinq fours crématoires à trois creusets occupent une pièce de trente mètres de long. Un monte-charge relie le sous-sol au niveau supérieur pour assurer le transport des cadavres de la chambre à gaz à la salle des fours. Les Juifs devant disparaître sans laisser de traces, un four spécial, à l'arrière du Krematorium II, est utilisé pour détruire photos, documents et pièces d'identité.
Les dents en or sont fondues en lingots au Krematorium III et envoyées à la Reichsbank, à Berlin. Les cheveux, démêlés et séchés, sont emballés dans des sacs de toile et vendus 50 pfennigs par kilo à l'industrie textile. Une cheminée de quinze mètres de haut domine chacun des bâtiments, isolés du reste du camp par une clôture infranchissable.
Les Krematorien IV et V, plus petits, sont construits uniquement en surface. Le premier comprend trois chambres à gaz, le second quatre, pouvant contenir au total 1000 personnes. L'incinération des cadavres est assurée au moyen de deux fours à quatre creusets. Au centre, une grande pièce sert alternativement de salle de déshabillage et de morgue. Chacun de ces édifices est surmonté d'une cheminée haute de 17 mètres. Les cendres humaines sont jetées dans un étang, situé derrière le Krematorium IV, ou dispersées dans la Vistule et la Sola.
Un premier gazage - les SS parlent de « traitement spécial » (Sonderbehandlung) - est opéré au Krematorium II dans la nuit du 13 au 14 mars 1943. Les victimes sont 1492 Juifs polonais, déportés du ghetto de Cracovie. Après la mise en service définitive des nouvelles installations, le Bunker I est totalement démantelé et le Bunker II désaffecté. En juin 1943, la capacité totale des fours crématoires est évaluée par la Bauleitung d'Auschwitz à 4756 corps par tranche de 24 heures : 340 au Krematorium I (à Auschwitz), 1440 aux Krematorien II et III, et 768 aux Krematorien IV et V.
En 1943, est terminé l'aménagement du secteur BII, constitué de six camps autonomes, séparés les uns des autres par des rangées de fils barbelés électrifiés. Chaque sous-secteur est composé d'une série de baraquements en bois, construits sur le modèle d'écuries de campagne destinées à 52 chevaux. En juillet, le camp des hommes (Männerlager) est transféré du secteur Blb au secteur Blld, et le camp des femmes (Frauenlager) étendu à l'ensemble du secteur Bl. Le camp de quarantaine (Quarantänelager et « l'hôpital » des hommes (Häftlingskrankenbau) sont installés dans les fragments de construction Blla et Bllf.
En février 1943, des Tziganes déportés des territoires du Reich, laissés en famille, sont parqués dans le secteur BIIe, qui prend pour dénomination officielle Familienzigeunerlager. A la différence des Juifs, ils ne sont pas « sélectionnés » à leur arrivée, ni soumis au travail forcé, mais les conditions de vie désastreuses qui règnent dans le camp entraînent une forte mortalité.
Le 9 septembre, des familles juives en provenance du ghetto de Terezin, en Tchécoslovaquie, sont enfermées dans le secteur BIIb, qui devient le Familienlager Theresienstadt. Laissées en vie quelques mois à des fins de propagande, elles sont envoyées dans les chambres à gaz en mars 1944, puis remplacées par de nouvelles familles qui seront à leur tour exterminées en juillet 1944.
Le secteur BIIc est employé provisoirement comme aire de stockage avant l'ouverture du « Kanada Il » (Effektenlager II) dans le secteur BIIg.
Enfin, un nouveau bâtiment destiné à l'enregistrement des déportés sélectionnés pour le travail et à la désinfection des vêtements, le Zentralsauna, construit dans le prolongement du secteur BII, entre en service en décembre 1943.
Alors que les camps de l’Aktion Reinhardt sont progressivement démantelés, Auschwitz occupe, à partir de 1943, une place centrale dans l'anéantissement du peuple juif. Les premiers déportés de Grèce (en particulier de Salonique) arrivent sur la Judenrampe le 20 mars, suivis le 23 octobre par les premiers Juifs italiens. En novembre, le commandant du camp, Rudolf Höss, est relevé de ses fonctions et remplacé par l'Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, qui divise le complexe d'Auschwitz en trois entités administratives distinctes :
- Auschwitz I, correspondant au Stammlager, le camp-souche.
- Auschwitz II-Birkenau, incluant l'ensemble des exploitations agricoles et des fermes d'élevage créées dans la zone d'intérêt du camp.
- Auschwitz III, qui comprend le camp de Monowitz, ouvert en octobre 1942 près de l'usine Buna-Werke, et une myriade de camps auxiliaires (Aussenlager) implantés à proximité d'installations industrielles situées parfois à plusieurs dizaines de kilomètres.
Le 20 janvier 1944, 18 437 détenus sont comptabilisés à Auschwitz I, 49114 à Auschwitz II et 13 288 à Auschwitz III (dont 6571 au camp de Monowitz), soit un total de 80 839 personnes.
Au printemps de la même année, après l'entrée des troupes allemandes à Budapest, Rudolf Höss est rappelé à Auschwitz pour superviser l'extermination des Juifs de Hongrie.
L'extermination des Juifs de Hongrie
Entre le 15 mai et le 9 juillet 1944, alors que la défaite du Reich paraît de plus en plus probable, 147 convois, en provenance d'une cinquantaine de ghettos et de camps d'internement acheminent 437 000 hommes, femmes et enfants, vers Birkenau. Les déportés sont entassés parfois à plus de 5000 dans un seul convoi. En prévision de leur arrivée, la voie de chemin de fer a été prolongée dans l'enceinte même du camp, entre les secteurs BI et BII, au plus près des installations de mise à mort. La sélection se déroule désormais sur ce quai, appelé Bahnrampe, et les victimes sont envoyées à pied vers le lieu de leur assassinat. Pour faire face à l'arrivée quotidienne de plusieurs milliers de Juifs à exterminer, le Bunker II est remis en fonctionnement. Les fours existants ne permettant pas de faire disparaître un nombre de corps aussi important, cinq fosses, servant de bûchers à ciel ouvert, sont creusées dans la cour du Krematohum V et d'autres derrière le Bunker II.
Au cours de cette période, l'effectif du Sonderkommando augmente considérablement, jusqu'à atteindre 874 membres le 30 août. Ces hommes parviennent secrètement à prendre quatre clichés des fosses d'incinération et d'un groupe de femmes dirigées vers les chambres à gaz. Après la sélection, il arrive que les victimes soient contraintes d'attendre leur tour et de se déshabiller dans le bois de bouleaux près des Krematorien IV et V. D'autres sont enfermées dans le sous-secteur BIIc et dans le fragment de construction BIII, surnommé « Mexico », dont les travaux ont été arrêtés en avril. Ces deux antichambres de la mort sont dénommées officiellement camps de transit (Durchgangslager).
Au total, plus du tiers des Juifs assassinés à Auschwitz ont été déportés de Hongrie en l'espace de huit semaines.
Les derniers mois
Le complexe d'Auschwitz atteint son degré d'expansion maximale au cours de l'été 1944. 92 208 détenus sont recensés le 12 juillet, et 105 168 le 22 août, auxquels il faut ajouter près de 30 000 personnes entassées dans les secteurs BIIc et BIII dans l'attente de leur sort. Les déportations se poursuivent jusqu'à l'automne.
Les deux derniers convois de France quittent Drancy le 31 juillet et Lyon le 11 août. Un transport en provenance de l'île de Rhodes, en Mer Egée, arrive le 16 août. Au même moment, les ghettos de Pologne sont définitivement liquidés, et les Juifs de Lodz (Litzmannstadt) encore en vie sont envoyés à Birkenau. Les derniers occupants du camp des Tziganes, quant à eux, sont tués dans la chambre à gaz du Krematorium V dans la nuit du 2 au 3 août 1944.
Par ailleurs, 13 000 Polonais non-juifs, faits prisonniers au cours de l'insurrection de Varsovie sont enregistrés à Auschwitz en août et en septembre. Le camp vit cependant ses derniers mois d'existence. Dès la fin du mois de juillet, les SS entament la destruction des documents les plus compromettants, à commencer par les listes de transports où figurent les noms des personnes gazées dès leur arrivée. A partir du mois d'octobre, des dizaines de milliers de détenus sont transférés en train à l'intérieur du Reich. Le 6 octobre, le secteur BIII est définitivement liquidé. Les femmes qui s'y trouvent encore sont déplacées dans un autre secteur, puis tuées dans les chambres à gaz. Les baraques en bois sont démontées et transportées au camp de Gross-Rosen. Le lendemain, les hommes du Sonderkommando se révoltent et parviennent à détruire partiellement le Krematorium IV. La destruction des Krematorien est ordonnée par Himmler le 26 novembre. Les structures de mise à mort doivent être totalement démantelées et les traces du massacre, effacées.
Le 18 janvier 1945, à l'approche des troupes soviétiques, commence l'évacuation générale du camp. En l'espace de cinq jours, 58 000 détenus sont jetés sur les routes par un froid glacial ou transportés dans des wagons découverts vers les camps de concentration situés à l'intérieur du Reich. Les survivants parleront des « marches de la mort ». Pendant ce temps, des unités SS poursuivent la destruction des installations de gazage et d'incinération. Les Krematorien II et III sont dynamités le 20 janvier, et le Krematorium V le 26. Avant de partir, les nazis mettent le feu aux baraquements du secteur « Kanada », où sont entreposés les biens dérobés aux victimes. Le 27 janvier, les troupes soviétiques pénètrent dans l'enceinte du camp d'Auschwitz. 7000 détenus, incapables de marcher, y ont été abandonnés à leur sort par les SS.
Selon Franciszek Piper, 1,3 millions de personnes ont été déportées à Auschwitz et 1,1 million y sont mortes : 960 000 Juifs, 70 000 à 75 000 Polonais non-juifs, 21 000 Tziganes, 15 000 prisonniers de guerre soviétiques et 10 000 à 15 000 détenus d'autres nationalités (Soviétiques, Tchèques, Yougoslaves, Français, Allemands et Autrichiens).
Auschwitz,
Livret d’accompagnement Enseignants
Mémorial de la Shoah, Paris, 2008, p.10-22
Nombre de déportés au camp d'Auschwitz-Birkenau
Catégorie |
Détenus non-enregistrés |
Détenus enregistrés |
TOTAL |
Juifs |
890 000 |
200 000 (205 000) |
1 100 000 (1 095 000) |
Polonais |
10 000 |
130 000 à140 0000 (137 000) |
140 000 à 150 000 (147 000) |
Tziganes |
2 000 |
21 000 |
23 000 |
Prisonniers de guerre soviétiques
|
3 000 |
12 000 |
15 000 |
Autres (Tchèques, Russes, Biélorusses, Ukrainiens, Yougoslaves, Français, Allemands, Autrichiens et autres), tous enregistrés. |
|
25 000 |
25 000 |
TOTAL |
900 000 (905 000) |
400 000 |
1 300 000 |
Nombre de victimes du camp d'Auschwitz-Birkenau
Catégorie |
Détenus non-enregistrés |
Détenus enregistrés |
TOTAL |
Juifs |
865 000 |
100 000 (95 000) |
1 100 000 (1 095 000) |
Polonais |
10 000 |
60 000 à 65 000 (64 000) |
70 000 à 75 000 (74 000) |
Tziganes |
2 000 |
19 000 |
21 000 |
Prisonniers de guerre soviétiques
|
3 000 |
12 000 |
15 000 |
Autres (Tchèques, Russes, Biélorusses, Ukrainiens, Yougoslaves, Français, Allemands, Autrichiens, et autres), tous enregistrés. |
Absence de données |
10 000 à 15 000 (12 000) |
15 000 (12 000) |
TOTAL |
900 000 (880 000) |
200 000 (202 000) |
1 100 000 (1 082 000) |
Ces chiffres ne tiennent pas compte des victimes des « marches de la mort », dont le nombre exact est inconnu.
Pour les deux tableaux : D'après Franciszek Piper, Auschwitz. How many perished Jews, Poles, Gypsies…, Oswiecim, Frap-Books, 1996
Auschwitz,
Livret d’accompagnement Enseignants
Mémorial de la Shoah, Paris, 2008, p.22