Le soir, nous rentrons harassés par notre journée, transis ou mouillés une bonne partie de l'année. Combien de fois, après avoir rangé mes vêtements trempés, j'ai dû les endosser le lendemain encore mouillés! Un plaisir sadique anime les SS, ils comptent, recomptent ; il y a toujours des erreurs. Si nous ne connaissions pas leur cruauté, on pourrait les prendre pour des ânes, incapables de faire des additions, mais nous savons que c'est un prétexte : le matin, il n'y a jamais d'erreur.
Sur cette immense place balayée en permanence par le vent du nord qui vient de la Baltique, aucune colline ne coupe l'air glacial et c'est en grelottant que les vingt mille détenus figés fixent le court horizon limité par les murs du camp. Nous faisons tous face à l'allée centrale et je me trouve toujours dans la partie droite du camp. Je vois donc les baraques de l'infirmerie et la cheminée du crématoire qui nous rappelle notre fragilité, puis le ciel et les étoiles. Je n'ai jamais si longtemps contemplé les astres. Je me souviens d'avoir regardé la lune au ras du mur d'enceinte, puis d'avoir quitté la place alors qu'elle se trouvait très haut dans ciel.