Un cirque immense bordé de falaises abruptes de 80 mètres. Voici la carrière, tombeau, il n’y a guère, des détenus de Mauthausen. Un escalier de 180 marches amorce sa descente, là-bas.
Sur la route qui y mène marchent environ 2 000 hommes, 2 000 bagnards, 2 000 pouilleux vêtus de façon hétéroclite. Et cela forme une immense chenille ondulant au rythme du pas cadencé par les Kapo. Links, rechts, links... La colonne démesurée descend les marches et, dans le fond de la cuvette, elle semble déborder, se diviser, car, centaines après centaines, on nous emmène vers des secteurs différents où des tas de grosses pierres nous attendent. La solidarité humaine, qui, comme le disent les philosophes, est quelque chose d’inné, fait que chacun se précipite en bousculant le voisin afin de prendre les plus petites charges. Un commandement bref, tout le monde s’aligne. Et c’est alors la renaissance du fleuve bigarré par la confluence des dizaines de ruisseaux que semblent les colonnes.
Montons ces 180 marches, la pierre sur l’épaule, au pas cadencé. On est un peu essoufflé en arrivant au sommet et le train se ralentit. Il y a là, pour vous attendre, un raffiné, un SS qui, muni d’une baguette, cingle tout à sa guise les visages à sa portée. Cela vous donne du cœur au ventre.
Retour vers le camp. Nous déchargeons nos fardeaux dans un champ, derrière ; et on recommence ainsi, trois fois de suite, le matin, autant le soir, histoire de s’accoutumer au travail manuel et de gagner un peu notre nourriture.