Une soupe nauséabonde, mais chaude, épaisse, et extraordinairement abondante pour des estomacs occidentaux. Des tranches de rutabaga noyées dans un litre de liquide savonneux à base de farine bizarrement odorante. Il fallait se munir, besogne périlleuse, d’une cuvette désémaillée, jamais nettoyée, incrustée des reliefs de la veille, que dans le jargon international des camps on appelle un miski. Il fallait encore, besogne également périlleuse, se la faire remplir. Et puis en vider le contenu, en quelques minutes, sans le secours de la moindre cuiller. Manger à un rythme normal se soldait infailliblement par un matraquage. On prenait les rutas à pleins doigts. Ensuite on se plongeait le menton dans la cuvette pour aspirer le jus qui vous brûlait le nez et les lèvres. Et quand je dis « brûlait », c’est au point que nous étions plusieurs avec une figure boursouflée de cloques. Au début, certains camarades, lents à s’éduquer, ont manifesté quelque répugnance soit pour la soupe elle-même, soit pour les glaires et les mucosités dont le rhume ou la bronchite d’un prédécesseur avait parsemé les parois du miski. D’autres en ont profité pour ingurgiter à la file deux ou même trois litres de soupe.