Allemagne / Bergen-Belsen
Légende
L’histoire des prisonniers de guerre et des déportés de Bergen-Belsen ne peut s’expliquer sans faire référence à la guerre d’extermination allemande contre l’Union soviétique et à la phase finale de la Seconde Guerre mondiale. L’existence d’un camp de prisonniers de guerre et d’un camp de concentration, l’un directement à côté de l’autre, est une spécificité de Bergen-Belsen. L’hécatombe de 19 500 prisonniers de guerre soviétiques dès 1941 précède celle de 52 000 déportés en 1944-1945.
La déportation des otages juifs au ‘camp de l’échange’ de Bergen-Belsen constitue un cas exceptionnel où d’autres fins du projet national-socialiste priment sur celle de détruire les Juifs d’Europe. A partir de 1944, le camp de Bergen-Belsen se transforme, suite à l’utilisation de la main d’œuvre des déportés juifs et non-juifs dans l’industrie de guerre allemande et à l’évacuation des camps de concentration et des camps annexes face à l’avancée des troupes alliées.
Bergen-Belsen est un lieu de la politique d’anéantissement nationale-socialiste sans être un camp d’extermination ou un lieu d’exécutions massives par fusillades. À la différence d’Auschwitz-Birkenau et d’autres centres de mise à mort, les déportés de Bergen-Belsen ne meurent pas dans des chambres à gaz, mais suite à la négligence systématique, à l’arbitraire et aux violences des SS.
Plusieurs aspects de la Seconde Guerre mondiale et de la politique nationale-socialiste de persécution et d’anéantissement se retrouvent ainsi dans l’histoire des différents camps situés à Bergen-Belsen : la captivité des prisonniers de guerre, la détention des déportés dans le camp de concentration et, après la libération, la situation des rescapés au Displaced Persons Camp (camp de personnes déplacées).
Début : 1940
Fin : 15 avril 1945, libéré par les troupes britanniques
120 000 prisonniers et déportés dont 52 000 y trouvent la mort
Situation géographique et origines
Le camp de Bergen-Belsen se trouve dans le sud de la lande Basse-Saxonne, à 50 km au nord de Hanovre et 80 km au sud de Hambourg, au sud-est de Brême à vol d’oiseau. Il est situé au bord du terrain d’exercice militaire de Bergen aménagé à partir de 1935 dans le cadre du réarmement allemand. Initialement, il ne s’agit pas d’un camp, mais de baraquements pour ouvriers du bâtiment travaillant sur le chantier de la caserne de Bergen-Hohne.
Après la fin des travaux au camp militaire de Bergen en 1938, les baraquements servent de dépôt d’armes à l’armée allemande. À une distance de quelques kilomètres, près de la ville de Bergen, se trouve une rampe d’accès du chemin de fer desservant le terrain d’exercice militaire. En 1940, l’armée allemande aménage un camp de prisonniers de guerre dans les baraquements situés à Bergen-Belsen. La rampe d’accès devient le lieu d’arrivée et de départ de nombreux convois, d’abord de prisonniers de guerre, ensuite de déportés.
Le camp de prisonniers de guerre (1940-1945)
De l’automne 1940 au printemps 1941, l’armée allemande détient des prisonniers de guerre français et belges au camp de Bergen-Belsen. Ces prisonniers de guerre forment le détachement 601 du camp XI B pour hommes de troupe et sous-officiers. Généralement, les prisonniers de guerre français et belges de 1939/40 sont traités dans le respect des Conventions de Genève de 1929.
Au printemps 1941, lors des préparatifs de l’attaque contre l’Union Soviétique, l’armée allemande agrandit considérablement le camp et transforme Bergen-Belsen en camp de prisonniers indépendant XI C (311).
Après l’attaque contre l’Union Soviétique, plus de 21 000 prisonniers de guerre sont conduits à Bergen-Belsen, mais des baraques et sanitaires ainsi que des vivres et soins manquent. Dans la seule période de juillet 1941 à avril 1942, 14 000 prisonniers y meurent à cause de la famine, des maladies et du froid. Concernant les soldats soviétiques, l’armée allemande refuse de respecter les conventions internationales sur le traitement des prisonniers de guerre. De plus, les soldats juifs et les fonctionnaires communistes sont isolés à Bergen-Belsen et transférés au camp de concentration de Sachsenhausen afin d’y être assassinés. Le contraste entre le traitement des prisonniers de guerre français et belges, venant de l’Ouest de l’Europe, et l’hécatombe des prisonniers soviétiques venant de l’Est, révèle un aspect important de l’idéologie nationale-socialiste : la hiérarchie ‘raciale’ et le traitement des êtres humains qu’elle considère comme des ‘sous-hommes’.
En juin 1943, le camp XI C (311) est transformé en hôpital militaire dépendant du camp XI B. L’armée allemande en cède la moitié à la SS. L’Office central de l’administration de l’économie, SS-WVHA, y aménage le camp de concentration, de sorte que l’hôpital militaire et le camp de concentration de Bergen-Belsen coexistent jusqu’en janvier 1945. A ce moment, l’armée allemande transfert les prisonniers de guerre et internés militaires dans d’autres camps de prisonniers de guerre. En raison du surpeuplement du camp de concentration, le SS-WVHA reprend la totalité du camp.
En plus des 14 000 prisonniers de guerre soviétiques morts pendant l’hiver 1941/1942 au camp XI C (311), 5 500 prisonniers de guerre soviétiques sont décédés à l’hôpital militaire de Bergen-Belsen entre avril 1942 et janvier 1945.
Outre les soldats soviétiques, des internés militaires italiens auxquels les allemands refusent le statut de prisonniers de guerre après la capitulation italienne en septembre 1943, sont transférés à Bergen-Belsen. Puisque l’Allemagne nationale-socialiste les considère comme des traitres, leur traitement est aussi mauvais que celui des prisonniers soviétiques, sans pour autant être motivé par l’idéologie raciale. Entre juillet 1944 et janvier 1945, 142 internés militaires italiens sont morts à l’hôpital militaire de Bergen-Belsen.
A l’automne 1944, des prisonniers de guerre polonais, hommes et femmes, combattants du soulèvement national-polonais de Varsovie arrivent également à l’hôpital militaire de Bergen-Belsen. Contrairement aux soldats soviétiques et italiens, les Polonais et Polonaises capturés en 1944 sont, parfois seulement après leur protestation contre des infractions allemandes, traités dans le respect de la Convention de Genève de 1929.
Le camp de concentration (1943-1945)
Dès sa création en avril 1943, le camp de concentration de Bergen-Belsen fait partie intégrante du système concentrationnaire. Le camp se distingue toutefois, à bien des égards, de tous les autres camps de concentration durant les trois périodes de son existence.
Durant la première période, Bergen-Belsen sert en premier lieu de camp de rassemblement d’otages juifs, dit ‘camp de séjour pour juifs d’échange’, ‘camp de l’échange’ en bref.
Il s’agit d’hommes, femmes et enfants juifs que les Nationaux-Socialistes comptent échanger contre des ressortissants allemands internés dans des pays ennemis.
La deuxième période est liée au travail forcé des déportés dans l’industrie de guerre allemande. A partir de fin mars 1944, des hommes et à partir de mi-août 1944 des femmes, destinés à servir de main d’œuvre concentrationnaire sont transférés à Bergen-Belsen. Les hommes arrivant à Bergen-Belsen sont considérés comme momentanément inaptes au travail, tandis que les femmes doivent être transférées dans des camps de travail forcé de l’industrie de guerre allemande.
L’évolution pendant la troisième période du camp de concentration de Bergen-Belsen résulte de l’évacuation du centre de mise à mort d’Auschwitz et des camps de concentration et détachements de travail proche du front.
Début décembre 1944, l’évacuation du camp d’Auschwitz-Birkenau commence, et son commandant Joseph Kramer est nommé commandant du camp de concentration de Bergen-Belsen. Avec Kramer, une partie du personnel SS d’Auschwitz-Birkenau prend ses fonctions à Bergen-Belsen. En même temps, des milliers de déportés évacués commencent à arriver à Bergen-Belsen, camp beaucoup trop petit pour recevoir tous ces hommes, femmes et même enfants.
Enfin, l’évacuation d’autres camps de concentration et détachements de travail proche du front et les marches de la mort conduisent encore des milliers de déportés au camp qui se transforme en mouroir. Le 15 avril 1945, le camp est libéré par des troupes britanniques.
Le ‘camp de l’échange’ (1943-1945)
Lors de sa fondation en 1943, le camp n’est pas conçu comme un camp d’extermination ou un camp de travail, mais comme une réserve d’otages. Les Nationaux-Socialistes y détiennent des Juifs qu’ils comptent échanger contre des ressortissants allemands internés à l’étranger ennemi, contre de l’argent ou encore contre des marchandises. De plus, des Juifs ressortissants de pays neutres, proches ou alliés de l’Allemagne sont amenés à Bergen-Belsen afin d’être libérés pour éviter des conflits avec leur pays d’origine.
Sous la direction d’Heinrich Himmler, Chef de la SS et de la police allemande, le SS-WVHA et l’office central de la sécurité du Reich (RSHA) sont en charge du camp de concentration de Bergen-Belsen. En plus de la SS, le ministère des affaires étrangères est également impliqué dans les négociations sur les otages juifs détenus à Bergen-Belsen.
Lors de la création du ‘camp de l’échange’ les Nationaux-Socialistes parlent d’un camp d’internés civils. Or, lorsqu’ils constatent que la Croix-Rouge internationale a le droit de visiter les camps d’internés civils, ils le désignent : ‘camp de séjour de Bergen-Belsen’, afin d’éviter son contrôle, tout en sauvegardant les apparences. Ainsi, les otages juifs ne bénéficient plus de la protection de la Convention de Genève, comme la totalité des détenus des camps de concentration.
Entre 1943 et 1945, 14 600 hommes, femmes et enfants juifs qui espèrent pouvoir partir en Palestine ou vers des pays neutres arrivent au ‘camp de l’échange’. Ces otages juifs sont repartis dans différentes sections du ‘camp de l’échange’ selon leur nationalité et selon la possibilité d’échange ou de libération. Ainsi, des Juifs polonais disposant de certificats leur permettant d’émigrer en Palestine, ou des Juifs de nationalité nord- ou sud-américaine sont détenus dans le ‘camp spécial’. Puisqu’ils sont au courant de l’anéantissement des Juifs en Pologne, ils sont isolés des autres ‘Juifs d’échange’, pour éviter que ces nouvelles se répandent à Bergen-Belsen.
Dans le ‘camp des neutres’ se trouvent des Juifs susceptibles d’être relâchés vers des pays neutres. Il s’agit de ressortissants espagnols et portugais amenés de Grèce à Bergen-Belsen ainsi que des Juifs turcs. Des Juifs venant de Hongrie sont enfermés dans le camp des Hongrois, parmi eux un groupe dont le départ de Bergen-Belsen en Suisse en août 1944 et en décembre 1944 est négocié par le sioniste hongrois Rudolf Kasztner avec les SS.
D’autres Juifs venant de Grèce, des Pays-Bas, de l’Afrique du Nord, de France, de Yougoslavie et d’Albanie sont rassemblés au ‘camp de l’étoile’. Il s’agit de la plus grande section du ‘camp de l’échange’, nommé ainsi parce que les détenus sont obligés de porter l’étoile jaune sur leurs vêtements civils.
A la différence des autres Juifs du ‘camp de l’étoile’, 258 internés du camp de Drancy en France sont déportés à Bergen-Belsen soit en tant que personnalité-otage, soit en tant que femme ou enfant d’un prisonnier de guerre français. Parmi les 167 femmes de prisonnier de guerre, 42 sont déportées avec un ou plusieurs de leurs enfants. Mais parmi les 77 enfants de prisonnier de guerre à Bergen-Belsen, il y a 15 enfants déportés sans leur mère. En plus, l’une des femmes de prisonnier de guerre, arrêtée au tout début de sa grossesse, accouche d’une fille au ‘camp de l’étoile’ de Bergen-Belsen même.
Finalement, seuls 2 560 otages juifs de Bergen-Belsen seront mis en liberté, tandis que 2 150 autres seront assassinés après avoir été transférés au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Malgré leur statut d’otages, 1 400 déportés meurent au ‘camp de l’échange’ de Bergen-Belsen.
Dans toutes les sections du ‘camp de l’échange’, les conditions d’existence sont moins dures que dans d’autres camps de concentration, puisque les détenus sont considérés comme des otages.
Souvent, plusieurs membres d’une même famille se trouvent au ‘camp de l’échange’. Les hommes et les femmes sont hébergés dans des baraques séparées, mais peuvent passer du temps ensemble dans la journée. Les enfants restent dans les baraques des femmes, mais à partir de 15 ans, les garçons sont obligés de vivre dans les baraques des hommes.
Jusqu’en décembre 1944, les ‘Juifs d’échange’ ne sont pas directement soumis à un régime concentrationnaire, mais les hommes SS ne respectent pas toujours l’interdiction de maltraiter les otages. Souvent, ils sont privés de pain ou obligés de passer de longues heures à l’appel. Ces brimades sont d’autant plus dures que la nourriture est insuffisante. Les conditions d’existence ne sont pas exactement les mêmes dans les différentes sections du camp de l’échange. Ainsi, les détenus du camp de l’étoile sont obligés de travailler dans les cuisines du camp de l’échange, dans le ‘Kommando des chaussures’ chargé de la récupération du cuir encore utilisable ou dans le ‘Kommando des souches’ déterrant des racines d’arbres en tant que bois de chauffage.
Lorsque Joseph Kramer prend ses fonctions de commandant du camp de concentration de Bergen-Belsen, les conditions d’existence des ‘Juifs d’échange’ commencent à ressembler au régime concentrationnaire. Des Kapos, détenus chargés de certaines fonctions par la SS, remplacent l’autogestion juive dans les différentes sections du camp de l’échange, et les conditions d’existence, précaires dès la création du camp, se dégradent de plus en plus.
La transformation du camp (1944-1945)
Dès avril 1943, un petit groupe de détenus non-juifs se trouve dans une section à part du camp de concentration de Bergen-Belsen. Ces 520 hommes forment un ‘Kommando de construction’ chargé d’aménager le futur ‘camp de l’échange’. En début de l’année 1944, les détenus survivants de ce Kommando sont transférés dans d’autres camps de concentration.
A partir du printemps 1944, le camp de concentration de Bergen-Belsen se transforme. Cette évolution s’inscrit dans le changement de la structure des camps de concentration, suite à l’extension du système des camps annexes et aux transferts de déportés destinés au travail forcé durant la dernière phase de la seconde guerre mondiale.
Le camp des hommes (à partir de fin mars 1944)
À partir de mars 1944, une nouvelle section du camp, le ‘camp des hommes’, est aménagée afin d’héberger des déportés malades et affaiblis en provenance de différents camps de concentration. Dans le premier convoi arrivé le 27 mars 1944, se trouvent mille détenus non-juifs dont la moitié meurt après quatre semaines. Les détenus du ‘camp des hommes’ sont livrés à l’arbitraire de la SS. Ils souffrent de négligence systématique, de faim, de maladies et de sévices, beaucoup d’entre eux sont assassinés et des milliers meurent de faim, d’épuisement, de manque de soins médicaux et de violences.
Par ordre de la SS, le détenu-infirmier allemand Karl Rothe tue au moins 200 déportés par des injections de phénol en été 1944. Entre mars et novembre 1944, 4 500 hommes arrivent au camp des hommes, dont 400 sont transférés de Bergen-Belsen dans d’autres camps de concentration.
Le camp des femmes (à partir d’août 1944)
Dès la fin de l’été 1944, des milliers de femmes arrivent à Bergen-Belsen. Ces déportées sont parquées dans le ‘camp des femmes’ avant leur transfert dans des camps de travail forcé. Il s’agit surtout de femmes non-juives et juives polonaises et de femmes juives hongroises, mais également de quelques déportées juives de France ou des Pays-Bas. Au moins 9 000 femmes arrivent au camp des femmes entre août et novembre 1944. La plupart de ces femmes sont transférées dans des camps annexes d’autres camps de concentration, par exemple à Raguhn, camp de travail forcé dépendant de Buchenwald.
Certaines femmes, par exemple Anne et Margot Frank, sont détenues à Bergen-Belsen, mais elles ne sont pas transférées dans un camp de travail. Elles restent à Bergen-Belsen où Anne et Margot et des milliers d’autres meurent du typhus au printemps 1945.
Près d’usines d’armement, la SS crée trois camps annexes du camp de concentration de Bergen-Belsen. Près de 2 000 femmes déportées sont astreintes au travail forcé dans ces camps annexes à Bomlitz-Benefeld, Hambühren-Ovelgönne et Unterlüß-Altensothrieth.
De plus, des déportées considérées comme inaptes au travail sont transférées au camp des femmes de Bergen-Belsen. Parmi elles se trouvent des femmes enceintes au moment de leur arrestation mais dont l’état de grossesse n’est découvert que tardivement. Ces femmes ne reçoivent pas de soins spécifiques, et la plupart d’entre elles met au monde un enfant mort-né ou meurt elle-même au moment de l’accouchement. Seulement quelques rares bébés nés dans les semaines avant la libération et leurs mères survivent à l’hécatombe de Bergen-Belsen.
Le camp de rassemblement (décembre 1944 - avril 1945)
Le système concentrationnaire se transforme également du fait des transferts d’évacuation et finalement des ‘marches de la mort’. À partir de décembre 1944, le camp de concentration de Bergen-Belsen est la destination des convois d’évacuation d’autres camps de concentration, entre autres celui d’Auschwitz. Bergen-Belsen devient alors un ‘camp de rassemblement’ : 85 000 déportés arrivent et au moins 35 000 déportés meurent à Bergen-Belsen entre décembre 1944 et avril 1945.
A l’intérieur du camp, les différentes sections : le ‘camp de l’échange’, le ‘camp des hommes’ et le ‘camp des femmes’ subsistent. Les derniers mois avant la libération sont marqués par une situation dramatique. Le surpeuplement, le manque d’approvisionnement et les épidémies conduisent, après l'hécatombe des prisonniers de guerre en 1941/42, à l’hécatombe des déportés de Bergen-Belsen en 1945.
En raison du surpeuplement du camp de concentration, les forces armées allemandes dissolvent l’hôpital militaire pour prisonniers de guerre au début de l’année 1945. La SS reprend cette partie du camp principal afin d’y rassembler des milliers de femmes et enfants déportés.
Début avril 1945, une partie de la caserne de Bergen-Hohne proche du camp principal sert à détenir des déportés arrivés une semaine avant la libération. Il s’agit de 15 000 hommes arrivés du camp de concentration de Dora-Mittelbau.
En même temps, les 6 700 otages juifs qui se trouvent encore au ‘camp de l’échange’ de Bergen-Belsen sont transférés par trois convois vers le camp de concentration de Theresienstadt. Un seul convoi arrive à destination, tandis que deux autres sont libérés en cours de route, l’un par des troupes américaines à Farsleben près de Magdebourg, l’autre par des troupes soviétiques à Tröbitz près de Torgau. En plus des otages juifs morts au camp de Bergen-Belsen, plusieurs centaines de ces déportés sont morts durant les transferts ou après leur libération. Parmi ces otages morts se trouvent 26 hommes, femmes et enfants français. Les autres otages français sont presque tous libérés à Tröbitz, parmi eux le bébé né à Bergen-Belsen et sa mère.
La libération
Lorsque le front s’approche de Bergen-Belsen en avril 1945, les forces armées allemandes et les SS rendent le camp de concentration à l’armée britannique. Le but de cette reddition qui se déroule dans le cadre d’un accord d’armistice local, est d’éviter que les épidémies ne se répandent à l’extérieur du camp. Bien que les troupes britanniques ne soient aucunement préparées à ce qu’elles doivent affronter, elles s’appliquent immédiatement à organiser les premiers soins aux déportés et aménagent plusieurs hôpitaux d’urgence pour les survivants. Ainsi, la caserne de Bergen-Hohne proche du camp principal sert d'hôpital improvisé pour les déportés.
Trois jours après la libération, une unité de photographes et d’opérateurs britanniques commence à photographier et à filmer le camp. C’est au travers de ces images que Bergen-Belsen façonnera l’image générale des camps de concentration nationaux-socialistes dans le monde entier.
Les troupes britanniques prennent les déportés en charge, leur apportent les premiers soins et capturent les SS du camp. Les déportés encore valides essaient également de s’organiser. Ainsi, des rescapés français établissent des listes de survivants afin de donner un signe de vie à leur famille en France.
Juste avant la reddition du territoire du camp de concentration aux forces britanniques, les SS réussissent à détruire tous les registres du camp. Plus de 120 000 détenus ont été internés au camp de concentration au cours des deux années de son existence, mais on ne connait qu’un peu plus de 50 000 noms de détenus à Bergen-Belsen. Plusieurs milliers de détenus étant transférés dans d’autres camps, il se trouvait jusqu’à 60 000 déportés en même temps à Bergen-Belsen.
Parmi les 120 000 détenus à Bergen-Belsen, 52 000, au moins, sont morts de la faim, de maladies et de la violence des SS avant ou au bout de quelques mois après leur libération.
Entre avril 1943 et avril 1945, le personnel SS du camp de concentration de Bergen-Belsen comptait au moins 480 personnes en tout, dont environ 45 femmes désignées : surveillantes. Seize hommes SS et seize surveillantes sont accusés lors du premier procès de Bergen-Belsen qui se déroule à Lunebourg entre le 17 septembre et le 17 novembre 1945. Le commandant du camp, Joseph Kramer, sept autres hommes SS et trois surveillantes sont condamnés à mort, tandis que d’autres reçoivent de peines de prison ou sont acquittés faute de preuves. Huit Kapos de Bergen-Belsen sont également condamnés à des peines de prison.
Le camp des personnes déplacées (1945-1950)
Après la libération, un camp pour personnes déplacées, des Juifs et des Polonais non-juifs, voit le jour dans la caserne de Bergen-Hohne, à proximité de l’ancien camp de concentration. Le statut de personne déplacée est d’abord attribué à tous les détenus des camps de concentration, prisonniers de guerre ou travailleurs forcés transférés en Allemagne durant la guerre. Mais, à la différence des Français, d’autres groupes de personnes déplacées, notamment ceux de l’Europe orientale, ne sont pas rapatriés au bout de quelques semaines, voire de quelques mois. À Bergen-Belsen, la partie du camp de personnes déplacées réservée aux Polonais non-juifs existe jusqu’à l’automne 1946, tandis que la partie réservée aux Juifs reste sur place jusqu’à 1950. Bergen-Belsen devient alors le plus grand camp de personnes déplacées juives de l’Allemagne, hébergeant jusqu’à 12 000 rescapés de la Shoah en attente de pouvoir émigrer.
Janine Doerry, PhD
Le Mémorial de Bergen-Belsen
Bergen-Belsen est, depuis 1945, un lieu du souvenir de portée internationale. Le Mémorial comprend aujourd’hui la surface entière occupée par l’ancien camp. Sur le terrain, des monuments commémoratifs de l’après-guerre rappellent que plus de 52 000 personnes ont péri dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Dans le cimetière des prisonniers de guerre soviétiques, un monument rend hommage aux 19 500 soldats soviétiques morts en captivité allemande à Bergen-Belsen et enterrés dans des fosses communes.
La fondation Mémoriaux de Basse-Saxe, créée en 2004, est en charge du Mémorial de Bergen-Belsen. Puisqu’il s’agit d’un lieu d’importance nationale et internationale, le Mémorial bénéficie du financement institutionnel de la République Fédérale d’Allemagne depuis 2009.
Historique du Mémorial
Dès la libération, une partie du camp de concentration est transformée en cimetière. Sur cette partie des lieux, les baraquements sont soit brûlés soit détruits, de sorte qu’il reste surtout des fosses communes auxquelles s’ajoutent des monuments commémoratifs. Le four crématoire du camp de concentration est également démonté.
Entre les tumulus qui couvrent les charniers, les rescapés créent des monuments dès 1945. D’une part, il s’agit d’une croix en bois érigée le 2 novembre 1945, le Jour des Morts, par des rescapés catholiques polonais, d’autre part, du moment juif inauguré lors du premier anniversaire de la libération le 16 avril 1946. Ces monuments représentent chacun un groupe important de Displaced Persons (personnes déplacées) libérées à Bergen-Belsen. De plus, ils ont chacun une portée religieuse et politique : Lors de l’érection de la croix, placée sur le lieu le plus élevé de l’ancien terrain du camp et dominant la plaine, un service œcuménique est célébré. Le placement du monument dans un endroit central entre les fosses communes les plus importantes y est en quelque sorte une réponse. De plus, le texte – hébreu et anglais – sur le monument juif fait allusion à Israël avant que le pays n’existe sous forme d’État :
« Qu’Israël et le monde entier se souviennent / des trente mille Juifs / exterminés au camp de concentration / de Bergen-Belsen / par les mains meurtrières des nazis / Terre ne couvre jamais le sang / versé sur toi ! / Ce premier anniversaire de la libération / le 15 avril 1946 / le 14 nissan 5706 / Comité Central Juif / Zone Britannique »
En effet, un membre du Comité central juif en zone d’occupation britannique, représentant des milliers de personnes déplacées juives, demande d’ouvrir les portes de la Palestine dans son discours prononcé lors du premier anniversaire de leur libération.
Après plusieurs années de débat sur la conception du Mémorial, la construction du monument central à la mémoire de tous les déportés du camp de concentration de Bergen-Belsen commence en 1948. Il s’agit d’un obélisque et d’un mur d’inscriptions déclinées dans les langues des déportés de différents pays. L’inauguration officielle du Mémorial de Bergen-Belsen a lieu le 30 novembre 1952. La cérémonie en présence du président de la République Fédérale Allemande, Theodor Heuss, et du Président du Congrès Juif Mondial, Nahum Goldmann, attire l’attention de la presse internationale. En même temps, le Land de Basse-Saxe prend en charge l’entretien du Mémorial de Bergen-Belsen.
En 1982, une inscription pour les Sintis est rajoutée sur le mur d’inscriptions, par suite de protestations contre leur discrimination persistante et leur non-représentation sur les lieux. Lors d’une grande manifestation sur le site du Mémorial de Bergen-Belsen en 1979, Simone Veil née Jacob, rescapée juive française de Bergen-Belsen qui vient d’être élue comme présidente du parlement européen, soutient la demande de reconnaissance du génocide des Sintis et Roms et d’égalité de traitement de ces minorité toujours discriminées.
Depuis 1999, à la différence des inscriptions nationales sur le mur d’inscriptions, une plaque déposée devant le monument rend hommage aux déportés selon les différents groupes de persécutés :
« Nous commémorons les hommes, / femmes et enfants venant de nombreux pays / détenus et tués / au camp de concentration de Bergen-Belsen / Opposants politiques / du national-socialisme / Juifs / Sintis et Roms / Homosexuels / Victimes d’une justice pervertie / Nous commémorons / les soldats qui ont péri dans le camp de prisonniers de guerre / venant de l’Union Soviétique et d’autres pays / 1999. »
Entre 1957 et 1969, un conflit entre la mémoire française de tradition républicaine et la mémoire juive oppose différents groupes de rescapés. L’exhumation prévue de corps de déportés français morts dans l’hôpital improvisé après la libération par les troupes britanniques est au cœur de ce conflit. Ces déportés français sont enterrés dans un cimetière situé à l’intérieur de la caserne de Bergen-Hohne dans lequel ils reposent parmi des déportés de diverses origines, entre autre d’origine juive. Puisque la loi religieuse interdit de toucher à une tombe juive, les préparatifs de l’exhumation provoquent l’opposition des associations de rescapés juifs de Bergen-Belsen et déclenchent un conflit international opposant également les gouvernements français et allemands. Une commission d’arbitrage décide en 1969 que le transfert de sépultures des déportés français n’aura pas lieu. Par la suite, les représentants de rescapés des différents pays sont consultés en vue d’une nouvelle conception du cimetière. En 1975, le cimetière réaménagé et une nouvelle sculpture composée d’arcs paraboliques, symbole universel de deuil, sont inaugurés.
Pendant le conflit, le Mémorial de Bergen-Belsen est également restructuré. Au début des années 1960, une nouvelle entrée et un réseau de chemins sont aménagés. Les tumulus des fosses communes sont relevés et respectivement entourés d’une enceinte en pierre. A la suite de plaintes de rescapés et d’associations de déportés français, les cendres dispersées près du four crématoire avant la libération sont également couvertes d’un tumulus. Sur l’ensemble du Mémorial, des axes de vue sont déboisés afin d’accentuer les monuments, les charniers et les stèles individuelles à la mémoire des déportés morts à Bergen-Belsen, érigées par leurs proches. Le site ressemble cependant à un parc paysager, et les anciens emplacements des bâtiments du camp restent invisibles.
Sur demande du Land de Basse-Saxe, l’historien Eberhard Kolb réalise une recherche scientifique sur le camp de concentration de Bergen-Belsen. Les résultats de sa recherche, parue en 1962 sous le titre « Bergen-Belsen. Histoire du ‘camp de séjour’ 1943-1945 », donnent lieu à l’élaboration d’une exposition permanente sur les persécutions nationaux-socialistes et le camp de concentration de Bergen-Belsen. A l’entrée du Mémorial, un centre de documentation dans lequel se trouve l’exposition composée de documents, de photos prises à la libération et d’une maquette du camp est ouvert au public en 1966.
Ensuite, les recherches sur Bergen-Belsen s’arrêtent et ne reprennent que dans les années 1980. En vue d’un agrandissement du centre de documentation, le Mémorial est doté d’une équipe de chercheurs en 1987 et, en 1988, de personnel éducatif. En 1990, le centre de documentation agrandi est ouvert au public. En plus d’un lieu de commémoration, le Mémorial de Bergen-Bergen-Belsen devient également un lieu d’apprentissage. Une nouvelle exposition permanente et des manifestations dans une salle de conférence, entre autre un film sur Bergen-Belsen, rendent accessible l’histoire du camp de prisonniers de guerre et du camp de concentration. De plus, le service aux visiteurs propose des visites accompagnées, notamment aux groupes scolaires.
Tandis que la moitié de l’ancien terrain du camp est transformée en Mémorial dès 1945, l’autre moitié est reboisée au fur et à mesure. Mais avant d’être démontés, les baraquements habités par les SS avant la libération sont utilisés pour y héberger des réfugiés allemands entre 1946 et 1953. Seulement dans les années 1990, des associations et organisations de jeunesse commencent à redécouvrir les emplacements des bâtiments sur cette partie du site historique. Lors de fouilles, ils mettent au jour des fondations de bâtiments ainsi que des réservoirs d’eau prévus pour lutter contre les incendies à l’intérieur du camp. Depuis 2007, la partie de l’ancien terrain du camp sur laquelle se trouvent ces ruines est reliée par un « chemin de pierre » au nouveau centre de documentation, bâtiment en béton brut inauguré la même année.
Le Mémorial de Bergen-Belsen de nos jours
Le Mémorial de Bergen-Belsen accueille plus de 250 000 visiteurs par an. Les visiteurs accèdent au Mémorial par une place centrale, devant le nouveau centre de documentation ouvert au public en 2007. De l’autre côté de la place se trouve le bâtiment du centre pédagogique, qui abrite également des expositions temporaires et des manifestations culturelles. Les visiteurs individuels ont la possibilité de s’informer sur l’histoire de Bergen-Belsen en se rendant à l’exposition permanente du centre de documentation. L’exposition permanente du Mémorial de Bergen-Belsen s’attache à retracer l’histoire du camp de prisonniers de guerre, du camp de concentration et du camp de personnes déplacées de Bergen-Belsen.
Le service aux visiteurs du Mémorial propose d’accompagner les groupes, sur réservation. Lors des visites guidées, le personnel du service aux visiteurs aborde l’histoire de ces trois camps différents avant de mettre l’accent spécifiquement sur un des camps ou des aspects particuliers de l’histoire de Bergen-Belsen.
Outre le département d’éducation, le Mémorial dispose d’un département de recherche et de documentation qui est en charge du livre de mémoire de Bergen-Belsen, du recueil de témoignages audiovisuels et de la collection de fonds d’archives. De même, il participe à divers projets de recherche et à l’élaboration d’expositions temporaires et itinérantes.
L’exposition permanente
En plus des documents historiques, l’exposition permanente présente des témoignages, dessins et objets des détenus ainsi que des images photographiées et filmées après la libération. Accompagnées de textes explicatifs, toutes ces pièces d’exposition sont inscrites dans le contexte respectif et mises en valeur en tant que sources à part entière. De cette façon, les médias visuels et audiovisuels prennent une place particulière dans la conception de l’exposition permanente.
C’est au travers des prises de vues de photographes et d’opérateurs britanniques, Bergen-Belsen a façonné l’image générale des camps de concentration nationaux-socialistes dans le monde entier. Les images donnent surtout une impression de l’hécatombe et de l’état des déportés peu de temps après leur libération, mais également une perception générale du camp de concentration. De plus, des stations audiovisuelles permettent de découvrir les témoignages de prisonniers de guerre, de déportés et de personnes déplacées. À la transcription allemande et anglaise du son original, qui rend accessibles des paroles des témoins, s’ajoutent des plaquettes qui donnent des informations biographiques sur chaque personne.
La conception topographique
Une nouvelle conception topographique est actuellement en cours de réalisation sur le terrain de l’ancien camp : La limite extérieure et les limites des sections à l’intérieur du camp ont été déboisées et plantées de gazon, les emplacements des baraques également. Des bornes d’information et des maquettes se trouvent sur la partie du terrain qui n’a pas été transformée en cimetière dans l’immédiat après-guerre. Le peu de ruines accessibles est révélé par des délimitations. De plus, un guide multimédia du site sous forme d’application pour tablettes numériques est disponible. Moyennant la réalité augmentée et virtuelle, le guide permet aux visiteurs de s’orienter sur l’ensemble de l’ancien terrain du camp. A l’aide d’une reconstruction numérique, mais plutôt abstraite, en trois dimensions des bâtiments historiques du camp de concentration, des sources, par exemple des dessins ou des textes de détenus, sont localisés dans l’endroit de leur genèse au camp. De cette façon, à part de la dimension temporelle, la dimension spatiale, particulièrement importante sur le site historique, est d’autant plus présente qu’il n’existe que très peu de ruines de l’époque du camp de concentration de Bergen-Belsen.
Les activités du département d’éducation
Depuis une quinzaine d’années, les activités du département d’éducation au Mémorial de Bergen-Belsen se reflètent dans le nombre croissant de groupes accompagnés par le service aux visiteurs : en 2015, plus de 1 100 groupes ont été accueillis, dont presque dix pour cent venaient de l’étranger. La grande majorité – 765 groupes – était composée d’élèves, mais on compte également 71 groupes de soldats, notamment allemands et britanniques.
Le service aux visiteurs du Mémorial propose des visites guidées et des journées d’études sur réservation. Une visite accompagnée de l’ancien terrain du camp et de l’exposition permanente dure de trois heures à trois heures et demi ; les journées d’étude durent six heures. Le service aux visiteurs propose ces offres en allemand, anglais, français, russe et d’autres langues étrangères. Lorsqu’ils souhaitent participer à une journée d’étude, les groupes peuvent choisir entre différents thèmes. Des informations détaillées sont disponibles en allemand et anglais sur le site internet du Mémorial de Bergen-Belsen. Outre ces offres standard, le département d’éducation du Mémorial de Bergen-Belsen et la fondation Mémoriaux de Basse-Saxe réalisent également d’autres projets, comme des séminaires de plusieurs jours, des rencontres avec des témoins, des rencontres internationales de jeunes et des séminaires de formation de professeurs et d’éducateurs travaillant dans l’encadrement de la jeunesse.
La rampe d’accès du chemin de fer
L’endroit de l’arrivée et du départ des convois de déportation, une rampe d’accès du chemin de fer, se trouvent à une distance de quelques kilomètres du Mémorial, près de la ville de Bergen. Sur le chemin, on traverse le petit village de Belsen et on passe devant la caserne de Bergen-Hohne, endroit où se trouvait le camp de personnes déplacées entre 1945 et 1950. La rampe d’accès est située sur un terrain militaire et les visiteurs sont donc obligés de faire une partie du chemin à pied avant d’arriver près d’un wagon de marchandises restauré. Il s’agit d’un objet historique et d’un monument commémoratif dans le même temps, aménagé par l’association « Arbeitsgemeinschaft (communauté de travail) Bergen-Belsen » qui pratique une citoyenneté active depuis plus de 30 ans. Entre autres, elle organise des commémorations, invite des rescapés et propose des voyages d’étude.